mardi 19 janvier 2021

FROST DÉCRIVAIT SUR PAPIER CE QUE VAIL PATINAIT SUR GLACE

 


#PourCeuxQuiSontPressés

Alors que l’hiver est là et au cas où l’on se souvienne avoir, ne serait-ce qu’une fois, glissé sur l’eau gelée d’un saut de loup ou risqué quelques pas sur les bords d’un lac ou d’un étang pétrifiés, on ne peut que tomber en amitié avec cet Art du patinage qu’un certain Frost, le bien surnommé, donna à son public enamouré en 1886. A grand renfort de croquis de glisse, de dessins de trajectoires plus séduisantes les unes que les autres, l’auteur nous fait croire avec grâce qu’il suffirait d’appliquer ses conseils pour réussir en un tour de lac à tournoyer sur la valse, non pas de Walteufel mais d’Henry Blount dont on trouve la partition en fin de volume.

Pour ceux qui n'ont pas non plus le temps, mais qui le prennent quand même

De la graine d’armoricain-américain
Frost, à la ville, s’appelait George E. Vail. Le baron de Vaux qui en fit un de ses Hommes de sport, avait consciencieusement fait son enquête. Bien informé, il nous exposait ainsi son pedigree métissé : « je disais tout à l'heure que M. George Vail était Américain ; je ne manquerai pas d'ajouter que, par le côté maternel, M. Vail est à moitié Français, ce qu'il tient beaucoup à ne pas laisser oublier. Mme Vail, née Légué, appartient d'ailleurs à l'une des meilleures familles de Bretagne, alliée à la famille de Chateaubriand. Les relations de parenté de cette femme distinguée ont contribué à l'excellent accueil fait dès le premier jour à M. George Vail dans le milieu très réservé, très fermé, d'ordinaire, du cercle des Patineurs de Paris. » Voilà qui explique que « l'on trouve sur la liste des souscripteurs [de ce livre tiré à petit nombre] une foule de noms aristocratiques : le comte de Paris, les ducs de Chartres et de Morny, lord Dufferin, le prince d'Hénin, comte Potocki, de Charnacé, d’Osmond, le marquis Hachinska, ambassadeur du Japon, Napoléon Ney, etc. » Ajoutons à cela un frère qui fut au pinceau, ce que George fut du patin et nous aurons fait le tour. De trois ans son aîné, Eugène Lawrence Vail connut le succès en peignant la Bretagne et les Bretons, Paris et les Parisiens, et même Saint Moritz où sans doute il devait croiser son petit frère Frost. 




Frost !
On sait que Vail fut le secrétaire particulier de Charles de Lesseps lors de son voyage d'inspection au canal de Panama en 1883. On peut raisonnablement supposer qu’il y souffrit de la chaleur puisque tout porte à croire que l’homme aimait frénétiquement le froid. Frost –verglas en anglais – est d’ailleurs le pseudonyme avec lequel il signait dans le New-York Herald, la rubrique des Sports d'hiver que lui avait confiée Gordon-Bennett. Avec humour, Adrien Marx dans son piquant En plein air, expliquait pourquoi ce surnom lui aller à merveille : « Georges Frost... Ce jeune «squatter», dont l'existence se passe sur la glace, est fanatique de son art au point que ses déplacements rappellent, à rebours, ceux des oiseaux migrateurs. A mesure, que le soleil fond les frimas du midi, il remonte vers le Nord, en sorte qu'il ne faudrait pas être surpris de le rencontrer, au mois d'août, en train de faire des « huit » et des « cercles » sur une banquise du Pôle Nord, devant une société d'ours blancs émerveillés de ses arabesques. »

 Le crissement de l’arabesque
Ah ça ! Les arabesques ! Madame de Genlis qui en fit de Mythologiques et si jolies, en aurait raffolé. Celles de Frost furent éphémères certes, mais si vivantes. L’Art du patinage en retranscrit un bon nombre. Si les premières pages, parfaitement didactiques, sont plutôt habitées de croquis simples figurant courbes, mises en avant et ondulations à reculons, bientôt les figures s’emballent et enchaînent croisés, loupes, boucles, dehors en dedans, vignes et graffitis et tourbillons. L'oeil s'enthousiasme, le coeur bondit à suivre la trace de la lame de patin que, dans une tentative réussie, le trait d'encre retranscrit. Les pieds démangent: "Gaston! ma paire de patins et ma toque!"


 

 Un baron de Vaux sous le charme
Frost n’est pas de ceux qui prône le « faites ce que je dis mais pas ce que je fais ». Son patinage unanimement enchantait. On devine le travail derrière l’aisance. Sa perfection s’explique par « une rare persévérance, qui est une des notes dominantes de son caractère mi-yankee mi-Breton » lit-on dans un article qui lui est consacré. Si caractère trempé il y avait, il était bien caché sous une apparence trompeuse qui ne laissa pas de marbre le baron de Vaux, viril sportsman s’il en est : « M. George Vail est assez grand, très leste, de tournure élégante, il frappe tout de suite par la vivacité de son regard et de ses gestes. Une moustache blonde accentue légèrement l'expression à la fois très vive et un peu féminine de sa physionomie. » Pas étonnant qu’à Saint-Moritz et à Davos où il passait une grande partie de l'hiver et un peu partout, au cours de ses voyages, Frost ait formé d’innombrables élèves dont une flopée de jeunes filles. 


 

Le polisson du glaçon
L’effet produit par George E. Vail « au cercle des Patineurs, lui ont valu l'honneur, ajoute Vaux, d'être aussitôt choisi comme professeur de patin par nos mondaines les plus connues et les plus jolies. C'est ainsi que M. Vail a été le cavalier de Mmes de la Martinière, la marquise de Belboeuf, marquise d'Hervey de Saint-Denis, de Mme Maurice Ephrussi, la jolie Mlle Doublât, Mlle Aline de Rothschild, etc. […]Après ces leçons, M. Vail ne manquait pas de tracer sur la glace les noms de ses belles élèves, et on l'a même accusé d'avoir tracé à la pointe du patin des madrigaux capables de rompre la glace. » Ecrire sur la glace n’était pas une nouveauté puisque Cook, le grand patineur, avait inauguré magistralement l’exercice de style comme on peut le lire dans L’Art du patinage : « Une jeune fille, qui se nommait miss Arline, avait demandé à M. Cook de tracer son nom sur la glace. M. Cook commença par a-r-l-i-n-e ; puis allongeant l'e final et le transformant en g, il traça ensuite un D majuscule devant l'a, ce qui fit : Darling, autrement dit, en français : "Chérie"». Le tracé de la lame de Cook est reproduit à la suite de l’anecdote.


 

 Le Lac – gelé – de Lamartine
Il ne faudrait pas réduire Vail à un don juan glissant, le torse bombé et le neurone définitivement gelé. Ses conseils qui ouvrent l’opus sont bien tournés et d’une grande précision. Ils s’appliquent à définir le costume, la bottine, le patin et l’attache qu’il faut adopter. Quant à la  toute première page, elle exhume un texte inattendu de Lamartine tiré de ses Confidences et que nous ne résistons pas à retranscrire : « Se sentir emporté avec la rapidité de la flèche et avec les gracieuses ondulations de l’oiseau dans l’air, sur une surface plane, brillante, sonore et perfide ; s’imprimer à soi-même, par un simple balancement du corps, et, pour ainsi dire, par le seul gouvernail de la volonté, toutes les courbes, toutes les inflexions de la barque sur la mer ou de l’aigle planant dans le bleu du ciel, c’était pour moi et ce serait encore, si je ne respectais pas mes années, une telle ivresse des sens et un si voluptueux étourdissement de la pensée que je ne puis y songer sans émotion. Les chevaux même, que j’ai tant aimés, ne donnent pas au cavalier ce délire mélancolique que les grands lacs glacés donnent aux patineurs. »


 

Sa tournure et ses tournants

Le vade-mecum renferme aussi de jolies ponctuations illustrées. Une « première leçon » dessinée par Eugène Lawrence montre une jeune femme tenue par la main par son professeur. Est-là le portrait de son frère ? La moustache qu’il arbore, la silhouette élancée pourrait nous le laisser croire même si, à découvrir le portrait donné de lui par Mars en 1887 dans LIllustration, ainsi qu’une gravure d’après une photographie de Delton qui clot un des chapitres de L’Art du patinage nous le montrent en calotte et veste à brandebourgs qui mettait en valeur, c’est certain, sa tournure et ses tournants. Tout à fait comme les patins,  bas, knickers, redingote cintrée et chapeau noirs qui font une silhouette légère et parfaite au Patineur d’Henri Raeburn, icône de l’art écossais qui dernièrement vacille sur son piédestal : on a dernièrement voulu le réattribuer à Henri-Pierre Danloux. Les remous de l’histoire de l’art n’empêchent pas de constater que l’habit fait le patineur.

 


Frost d'après Mars, Delton et Vail

 

Barbizon, ombres chinoises et Pôle nord

On trouve encore au fil des pages une très belle eau-forte en double page de Ziem qui, presque en ombre chinoise mais furieusement barbizonesque, rend hommage au charmant passe-temps hivernal. A la vérité le patinage pratiqué par Frost était moins bucolique que ce que l’artiste veut bien en montrer. Certes, les plus accrocs patinaient en toute liberté sur le lac de l’Hermitage de Meudon qu'il avait mis au goût du jour, sur le grand canal de Versailles ou le grand lac du Bois de Boulogne, mais Au Cercle des Patineurs du Bois, il fallait montrer patin blanc. Au Palais de Glace des Champs-Elysées, au Pôle nord de la rue de Clichy,  on payait son entrée, on évoluait dans la foule, lorgnant du coin de l’œil son voisin patinant.

 

Ziem et Lamartine, si proches, si lointains de Frost
 


Waldteufel, Blount  et Julien Clerc
Dans tous ces lieux « civilisés », la glisse se faisait en musique. Rien d’étonnant que la partition d’une valse soit la conclusion de L’Art du patinage. Ce n’est pas celle, fameuse, des patineurs de Waldteufel composée en 1882 qui est proposée mais celle des patins d’Henry Blount. Assidu du Cercles des patineurs, Blount possédait un traineau portant «  à l’avant un Amour bandant son arc et sur les côtés deux petites lampes électriques pour les fêtes de nuit ». Mars l’a reproduit dans L’Illustration du 29 janvier 1887. En 2021, c’est un autre air qui s’impose à la lecture de ce livre. Et nous voilà fredonnant le Patineur de Roda-Gil et Julien Clerc qui, comme Vial, patinait sur une seule jambe sans fléchir des heures durant. « Sur une jambe et jusqu'au soir / Il glissait là sur son miroir […] Il ne sort pas de ma mémoire ».

le traineau d'Henri Blount

 

 

Le livre qui a permis de rédiger cette lorgnette est en vente à la librairie. Il s'agit de:

Vail, George E. dit Frost
L'Art du patinage, dédié au Cercle des Patineurs de Paris

Paris, chez l'auteur, 34 avenue du Trocadéro, 1886.
Grand in-8 broché, couverture en deux couleurs. Dos fragile. Petits incidents sans gravité au brochage. Petite tache dans la marge des dernières pages.  XIV, 75 pp.

Furieusement glissant mais bien peu courant. 

 Cours de patinage publié sous souscription et tiré en petit nombre sur papier de Hollande. Au titre des souscripteurs, on trouve entre autres, le comte de Paris, les ducs de Chartres et de Morny, lord Dufferin, le prince d'Hénin, comte Potocki, de Charnacé, d’Osmond, le marquis Hachinska, ambassadeur du Japon, Napoléon Ney, etc.

Exemplaire à grandes marges. Long envoi de l’auteur, alors la coqueluche des lacs gelés, à « Madame Paul Renan. Hommage affectueux d’un Armoricain-américain qui espère avoir le plaisir de lui tenir la main très souvent…sur la glace ».

A grand renfort de croquis de glisse, de dessins de trajectoires plus séduisantes les unes que les autres, l’auteur nous fait croire avec grâce qu’il suffirait d’appliquer ses conseils pour réussir en un tour de lac à tournoyer sur la valse, non pas de Walteufel mais d’Henry Blount dont on trouve la partition en fin de volume.
L’ouvrage fort précis contient outre les 38 figures dans le texte, une eau-forte sur double page de Felix Ziem, l’artiste de Barbizon bien connu, 8 gravures dont une d’Eugène Lawrence Vail, le frère de l’auteur. Musique notée de la
Valse des patins par Henry Blount.
© texte et illustrations villa browna  (Ne pillez pas le texte, citez-le. Ne pillez pas les images: donnez-en l'origine)


infos & commande

mardi 22 décembre 2020

DEAUVILLE 1865 - DEAUVILLE 1921: DU CORSAGE DE LA BOUQUETIÈRE DU JOCKEY CLUB À LA ROBE LANVIN DE MLLE DE LA CROIX ROUGE

 


#PourCeuxQuiSontPressés

Deauville est inoxydable. Sortie ex nihilo de méchants marais normands, elle a survécu à la guerre de 70 et à celles de 14 et de 39. Sans que l’on ne puisse démêler qui, vraiment, des hommes, de la mer ou des chevaux ont fini de la rendre iconique, on sait avec sureté qu’elle eut deux hommes dans sa vie, deux pygmalions qui, penchés tour à tour au-dessus de son berceau, y firent pleuvoir une pluie de jetons de casino, de fers à cheval, de rires et d’écume.

Or, voilà que deux témoignages du Deauville des années folles viennent de rallier la librairie. Si leurs provenances diffèrent, si leurs conditions s’opposent – l’un est un tapuscrit, l’autre une plaquette publicitaire – leur destination est la même : chanter les louanges de la seule ville au monde où les planches sont aussi courues que le tapis vert.

Les Planches version années folles

Pour ceux qui n'ont pas non plus le temps, mais qui le prennent quand même

 
Jean Stern, Karl Reille et des Anglais

Les dates, ici, comptent. Concentrés sur la première moitié des années 20, les deux documents peuvent être examinés au même biblioscope. La course au plaisir, Fantaisie-revue en deux actes et un prologue par Jean Stern et Karl Reille fut représentée au théâtre du Casino de Deauville le 23 août 1921. La plaquette, sobrement intitulée Deauville – France (mais en lettres dorées s’il vous plaît), elle, est non datée. Par définition, les outils publicitaires n’étaient pas oblitérés, ce qui permettait astucieusement de les utiliser plusieurs années de suite. Cependant, des indices nous permettent de situer cette jolie réclame aux alentours de 1924 ou 25. En effet,  elle consacre deux pages aux bains pompéiens qui furent inaugurés en 1924. Calqué sur le modèle architectural des thermes antiques, ils s’ouvraient sur 250 cabines dont cinquante luxueuses, alimentées par un double service d’eau douce et d’eau de mer, chaude et froide. Y étaient également disponibles un hammam, des salles d’eau allant du rince-pieds à la baignoire, de massage, de sudation et de repos. Les robinets à la mode de la thalasso coulaient ici à flots !



Et Morny frappa le sol mouvant

 Habiles Morny et Cornuché
Avant de plonger dans ces années 20 qui allèrent comme un gant à Deauville, il n’est pas inutile de remonter un peu dans le temps. C’est d’autant plus facile que le premier acte de la pièce de théâtre de Stern et Reille se passe « sur la plage de Deauville en 1865 ». Quelques lorettes, sur scène, chantonnent « L’an dernier un gentilhomme / s’arrête en ce lieu charmant / de sa canne il tient la pomme / et frappe le sol mouvant | Aussitôt surgit Deauville / ce n’était qu’un trou pas cher / Morny vient et une ville / s’érige en ce lieu désert ». Ils sont bien aimables avec Morny les auteurs ! Victor Hugo, qui le fréquenta pourtant un temps, le décrivit comme étant un « homme [...] ayant les manières du monde et les mœurs de la roulette, content de lui, spirituel, combinant une certaine libéralité d'idées avec l'acceptation des crimes utiles, trouvant moyen de sourire avec de vilaines dents, menant la vie de plaisir, dissipé, mais concentré, laid, de bonne humeur, féroce, bien mis, intrépide, […], viveur, tueur, ayant toute la frivolité conciliable avec l'assassinat, […] aucune conscience, une élégance irréprochable, infâme et aimable, au besoin parfaitement duc: tel était ce malfaiteur. » Mazette ! Quel portrait ! Cornuché qui sera le second démiurge de la ville apparait plus lisse, bien que l’on sache que c’est une grosse colère qui lui fit quitter avec pertes et fracas un Trouville flamboyant pour un Deauville encore vagissant. Certes, cinquante années séparent les deux hommes, certes, l’un agit au grand jour, l’autre en sous-main, mais leur sens consommé des affaires, exercé à l’envi en Normandie, les réunit sans conteste : ils voulurent et réussirent à faire de Deauville a place to be.

Quand le théâtre la publicité rendait hommage à Deauville

 

Bouquetière du Jockey club en villégiature
Il n’y a qu’à lire la charmante plaquette illustrée de dessins et de photographies rédigée en anglais pour constater leur pleine réussite. Si elle est destinée aux Britanniques, la pièce de théâtre, elle, vise le haut du panier français. Nous n’en citerons qu’une preuve, mais de taille : un des personnages n’est autre que la fameuse bouquetière du Jockey club, cette jeune femme dont l’inventivité commerciale et le sens du happening furent dignes de Morny et Cornuché. Elle eut, des années durant, l’insigne honneur d’accrocher têtes d’œillet ou de camélia au revers des vestes des fringants membres d’un des clubs les plus selects d’Europe. Sa logique était imparable comme le rappelle Stern et Reille : « Quand tous mes protecteurs partent pour Deauville : je suis mes protecteurs ». CQFD. En jouant un peu des coudes, elle garda longtemps le haut du pavé avant de s’étaler de tout son long. Mais cela, c’est une autre histoire. Une didascalie, néanmoins, nous retient un instant encore à ses côtés : les auteurs indiquent en préambule de son entrée en scène qu’elle est habillée d’un « corsage à basques orné de boutons d’acier, jupe relevées par des ficelles, ciseaux à la taille, bourse en bandoulière, un panier à fleurs à la main ». La description de sa mise est détaillée et on peut y voir, au choix, un intérêt historique ou une nostalgie pour la mode des années 1860.

La bouquetière du Jockey club s'en va à Deauville

 

De la mode, du sport et des pâtés de sable
Il faut dire qu’à Deauville, la mode était à son affaire. En 1913, par amour pour son Boy-friend (mais aussi par flair), Gabrielle Chanel y inaugura sa première boutique. Deauville fut le théâtre du lancement de sa fameuse marinière et la porte d’entrée du tweed et du jersey dans ses basiques. Rien de curieux donc, qu’aux alentours de 1925, quand il s’attaqua à la promotion de Deauville, Draeger, la star des éditeurs publicitaires, fit appel aux frères Séeberger, les photographes les plus élégants de l’époque. Si on s’attarde sur les photos qui sont reproduites en petit format dans la plaquette, on retrouve ici et là quelques images du chic d’alors. Mais ce sont les très nombreux dessins en couleurs qui attirent surtout l’œil. Placés en bandeaux, en vignettes, flirtant avec le texte, ils donnent illico l’envie de se frotter à ce monde insouciant, sportif et aimable qui se baigne, danse, monte à cheval, lance des jetons sur le tapis vert, fume, papote, joue au polo et au tennis, navigue, golfe et, pour les plus jeunes, fait des pâtés de sable.

tandis que les plus jeunes font des pâtés de sable...

 Portrait minute et craché de Deauville
C’est à Pierre-Olivier Dubaut que l’on doit ces merveilles de petites aquarelles. Gérald Schurr qui s’est penché sur sa carrière écrit justement que ce « virtuose de l'aquarelle, véhicule idéal de sa souplesse d'invention, de sa chaleureuse spontanéité. D'un pinceau agile, il saisit sans la fixer la vie qui passe, le mouvement fugitif, l'éphémère. Il suggère la forme d'un trait sans repentir, élégant et léger ». N’est-ce pas là tout le Deauville des années 20, celui-là même que Stern et Reille ont, eux, retranscrit pour la scène ? Le deuxième acte, calé sur des airs célèbres donne un portrait-minute très ressemblant du Deauville des auteurs : Jean Stern était un propriétaire de chevaux de course enragé au point de faire relier ses ouvrages – dont le tapuscrit que nous feuilletons – aux couleurs de son écurie, reprenant le bleu ciel et les étoiles de sa casaque. Karl Reille fut, lui, un artiste du tout vénerie, vouant une grande partie de son talent à la chasse à courre. Célèbre à l’époque, il l’est toujours aujourd’hui.

 

Sacha, Reynaldo, Yvonne, Anna et la Mère Michel

Sacha, Reynaldo Yvonne et Anna
Les deux amis qui retrouvaient à Deauville l’aristocratie du Turf en août, pour la saison des courses et des ventes de yearlings, profitaient alors de la douceur de vivre deauvillaise à laquelle ils rendirent hommage en écrivant à quatre mains La course au plaisir. Ce fut l’occasion pour eux de pratiquer un abondant name dropping, fait en partie d’amusants jeux de mots approximatifs. Ainsi, sur l’air de C’est la Mère Michel, nous nous surprenons à chantonner : «c’est Yvonn’ Printemps qui a perdu Sacha / Guitry par la fenêtr’ qu’est-ce qui me le rendra / C’est son beau-père Lucien/ Qui lui a dit : nom d’un chien ! / Sachez Yvonn’Printemps, que vot’ Sacha va bien. Plus loin, on lit que « si l’on craint qu’la comtesse Mathieu se noaille, par contre Hahn d’une sirène a l’dos.» La comtesse? c’est la poétesse Anna de Noailles. Hahn, c’est Reynaldo, qu’on retrouve, évidemment, dans la plaquette de Draeger : le « musician and composer of wide repute » tient alors lieu de « director of the Music at Deauville ». 

 

Polo sur la plage!

 
La Croix Rouge en Lanvin
Il ne faudrait pas croire cependant que la pièce de théâtre ne fut écrite que pour désennuyer ses spectateurs « du bain et de l’arrière-bain ». Elle fut montée au profit du Foyer de l’enfance deauvillaise et des orphelins de la guerre comme on le lit en ouverture du programme qui a été relié avec le tapuscrit. Pour être certains que tout ce beau monde mette au pot, les auteurs avaient fait précéder la représentation d’un prologue qui mettait en scène Mademoiselle de la Croix Rouge dépouillée de son habit d’infirmière et parée « d’une délicieuse robe de chez Lanvin ». Stern et Reille lui faisaient achever son petit laïus ainsi : « Si l’on s’amuse sur la Plage fleurie, si l’on y danse, si l’on y joue, si l’on y dépense beaucoup pour son bien-être et ses plaisirs, on n’oublie pas cependant les malheureux, et malgré la vie chère et l’âpreté du fisc, à Deauville, on sait donner, quand c’est pour la Croix Rouge ». Le Figaro du 25 août 1921 montra que ce n’était pas ni vœux pieux ni paroles en l’air puisque « la revue de M. Jean Stern et du baron Reille, véritable régal artistique, produisit une recette dépassant 40.000 francs. » © texte et illustrations villa browna 

 

Les livres qui ont permis de rédiger cette lorgnette est en vente à la librairie. Il s'agit de:

 Tapuscrit | Jean Stern & Karl Reille
La course au plaisir Fantaisie-revue en deux actes et un prologue, représentée sur le théâtre du Casino de Deauville le 23 août 1921.

Petit in-4 carré, [3] f. de prologue, 29, 34 p., percaline bleue à la bradel, dos lisse, étiquette d'auteurs et de titre en basane bleue, 25 étoiles dorées au plat supérieur. Couverture illustrée à l'identique conservée.
Un des rares tapuscrits de cette pièce de théâtre dont aucun autre exemplaire n'est référencé dans les bibliothèques.
Enrichi du programme lithographié et signé par certains des comédiens, monté sur onglet.
infos & commande

 
Plaquette publicitaire
Deauville – France

Draeger, s.d. (circa 1925)
Petit-in-4 broché, couvertures ornées de lettres et ornements dorés. Etiquette « spécimen unique (ne pas donner) » collée sur la première de couverture. Deux lignes de salissures.
Elégante plaquette publicitaire rédigée en anglais et mise en forme par l’incontournable Draeger, éditeur-roi des plaquettes publicitaires de l’époque. Abondante illustration à toutes pages composée de dessins en couleurs de Pierre-Olivier Dubaut et de photographies en noir des Séeberger, de Guilleminot et d’Henri Manuel.
infos & commande

Biblio
Dominique Barjot, Eric Anceau, Nicolas Stoskopf Morny et l'invention de Deauville
Biblio : Pierre Olivier Dubaut, petite rétrospective, Gérald Schurr, Galerie Apesteguy, Deauville 1986

le programme de La Course au plaisir