vendredi 26 mars 2010

Et tout de go, Voltaire traita d’ingrate Laure de Sade, la muse de Pétrarque.

Alors voilà. L’abbé de Sade, celui-là même qui recueillit pour quelques années son neveu Donatien âgé de 4 ans, le futur divin marquis, l’abbé de Sade donc, fait paraître en 1764, Mémoires pour la vie de François Pétrarque […]. Pétrarque et lui avaient élu comme refuge à quelques siècles de distance, le même coin de Provence, dans les parages de l'Isle-sur-la-Sorgue : ça crée des liens. Pétrarque à la fontaine de Vaucluse, Sade en son château de Saumane vécurent parmi les livres, entourées de femmes, portée par une muse.
Cette muse qui sous-tend toute l’œuvre du poète et qui provoque l’étude de l’abbé, c’est Laure. Laure de Sade.
Voltaire, vieil ami épistolaire de Jacques-François de Sade, à la réception de son livre lui écrit de Ferney, le 12 février 1764 : « Vous remplissez, Monsieur, le devoir d'un bon parent de Laure et je vous crois allié de Pétrarque, non seulement par le goût et les grâces mais parce que je ne crois point du tout que Pétrarque ait été assez sot pour aimer vingt ans une ingrate ». Imaginez-vous en effet, une belle péronnelle de 19 ans, qui tape dans l’œil de celui qui déjà renouvelle la poésie italienne. Imaginez-vous ensuite cette femme, « au corps si beau épuisé [selon les dires même de Pétrarque] par de nombreuses maladies et des maternités fréquentes, [ayant] beaucoup perdu de sa première vigueur ». Imaginez-vous enfin, cette femme de quarante ans mourant de la peste. Et déjà je sens le souffle voltairien vous étourdir.
Et pourtant il vous suffirait de lire Pétrarque pour balayer d’un haussement d’épaules la petitesse d’Arouet. Il vous suffirait de savoir  que « le renom de Laure a allumé en [lui] le désir de la gloire », et que l’amour a tiré de son cœur « des paroles et des œuvres telles qu’ [il] espère [se] rendre immortel, quand bien même [il] en devrait mourir ».
Et Etienne Gilson d’enfoncer le clou en écrivant : « cette étonnante fidélité, où Baudelaire verra l’une des marques les plus sûres du génie, ne s’affirme sans doute si victorieusement chez les plus grands que parce qu’elle est avant tout celle du génie envers lui-même ».
Mais les histoires d’amour, fussent-elles platoniques, ça énerve durablement. Nous en prendrons pour preuve la périlleuse entreprise de monsieur Nicholas Mann, professeur anglais d'histoire de la tradition antique au Warburg Institute de Londres, qui en 1994 au cours des assises de l'Institut d'Études Latines qui se tenaient à la Sorbonne tenta de nier l’existence de Laure. Il s’attacha à relever les multiples homonymes dont Pétrarque usait pour qualifier sa muse : Lauro (le laurier), l'aura (le vent), l'aureo (le doré), considérant que cette multitude d’images prouvait l’existence allégorique de l’aimée. Le professeur Mann oubliait dans son énumération de citer l’utilisation récurrente du tendre diminutif de  Laureta. Détail !
Il fit ensuite un peu d’arithmétique littéraire cherchant à  prouver « que le poète aurait créé une structure idéale de 3 x 7 dans laquelle il aurait intégré une Laure imaginaire. De 1327 à 1341, après quatorze ans d'amour et de composition poétique, il fut couronné de lauriers et décida de faire mourir sa muse sept ans plus tard, en 1348 ».La belle affaire !
A tout crin romantiques, nous préférons croire dans le marbre sculpté d’après le portrait perdu des amants platoniques peint par Simone Martini, immense peintre siennois, proche de Pétrarque et de tous les amoureux de peinture ancienne. Outre l’amitié qui liait le peintre et le poète, on remarquera que Laure y a l’œil un peu triste et le double menton affleurant. Ainsi donc elle avait vieilli. Ainsi donc elle avait vécu. Ainsi donc elle allait survivre éternellement dans les vers de Pétrarque.
Biblio : Étienne Gilson //  L'École des muses, 1951. Pétrarque, Virgile. Manuscrit enluminé d’une page de titre par Simone Martini, circa 1336, Biblioteca Ambrosiana, Milan.

En rayon actuellement à la librairie //

 Abbé Jacques-François-Paul-Aldonce de Sade.  Mémoires pour la vie de François Pétrarque tirés de ses œuvres et des auteurs contemporains, avec des notes ou dissertations, & les pièces justificatives.
Amsterdam, Arskée & Merkus, 1764.
3 volumes in-4, demi-vélin, pièces de titre et de tomaison en maroquin.
1/  Faux-titre, titre, CXIX, 447, [1], 79 pp. 2/ Faux-titre, titre, XXIV, 495, [1], 82 pp., errata, 3/ titre, 811 pp., errata, 102 pp.  
Un bandeau ouvre chaque volume : Pétrarque face au portrait de Laure porté par Cupidon, arc et carquois à terre bandeau ; Pétrarque dans sa solitude sur une berge ; le marbre sculpté d’après le double portrait peint par Simone Martini et trouvé à florence par Bindo Peruzzi. Les pages de titre sont ornées d’une même vignette de titre présentant Pétratrque et Laure dans des médaillons
Quérard, VIII,303. « Le fait que la plupart des exemplaires de cet ouvrage ait passé en Italie et en Angleterre le rendirent rare ».
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vendredi 19 mars 2010

Emile Zola n’était pas contre une petite ligne…de cocaïne.

Autre temps, autres mœurs. 
Au XIXème siècle, on n’hésitait pas faire bucher les écrivains et à faire trimer les illustrateurs pour lancer un nouveau produit.
Voilà qu'en 1870 Angelo Mariani, préparateur en pharmacie de son état, finit de mettre au point un breuvage vineux à base de Bordeaux rouge et d'extraits de feuilles de…coca : le vin Mariani. Chaque verre de sa potion magique, parfaitement légale, contenait sous ses airs inoffensifs l’équivalent d’une ligne de cocaïne pure !
Personne ne prit le temps de s’alarmer : Charles Baudelaire avait bien fait paraître en 1860 ses scandaleux Paradis artificiels, mais il n’y devisait que du haschich et de l'opium. Et puis, on était encore bien loin de l’ouverture du laboratoire expérimental de Woodstock.
Or donc, benoitement, Mariani allait faire appel aux stars littéraires de son époque pour faire sa publicité. Ayant sans doute reçu et testé un carton de douze bouteilles, Emile Zola pour sa part écrivit en 1895 à l’apprenti sorcier: « J'ai à vous adresser mille remerciements, cher Monsieur Mariani, pour ce vin de jeunesse qui fait de la vie, conserve la force à ceux qui la dépensent et la rend à ceux qui ne l'ont plus ». 
Le préparateur en pharmacie poussera son idée marketing jusqu’à créer chez Floury, une collection Angelo Mariani, constituée de contes publiés à la fois en édition de luxe ( grand format in-4) réservées plus spécialement aux bibliophiles et en édition populaire (petit format in-32) avec la même illustration destinée aux crédules de l’époque, ancêtres de nos accrocs de « parapharmacie ».
Parmi ces amusants petits contes, on peut citer l’Explication de Jules Clarétie illustrée avec fougue par Robida, qui s’interroge sur les causes de la forme olympique et perpétuelle d’Héraclès, l’homme aux douze travaux, aux amours musclées et aux voyages nombreux. Les causes se résument en une seule: c’est, comme de bien entendu, grâce à la coca et sur les conseils du centaure Chiron, qu’il put selon l’auteur  « à [son] gré, exterminer les Amazones par la Mort ou par l’Amour ».
Lire le texte intégral  http://www.bmlisieux.com/archives/explicat.htm

Actuellement en rayon à la librairie //
Jules Clarétie Explication. Illustrations de Robida.
Paris, Floury, Petite bibliothèque Mariani, contes à la coca. 1896.
In-32, demi-percaline orange, couvertures orange conservées. 41, [1] pp.
Illustrations en noir à toutes pages par un Robida très inspiré par le texte succulent de Clarétie. 
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jeudi 11 mars 2010

Sur les traces du "gang du jardin libéré"!


L’un fut prophète en son jardin mais fit venir à lui les grands de son monde ; l’autre quelques années plus tard, fut prophète en son pays mais s’expatria au Canada; l’un était français, l’autre anglais. Pourtant à eux deux, ils forment le «gang du jardin libéré», rejetant les alignements à la française et les étendues gazonnées, ordonnées et désertes. Et comme il faut, comme dans toutes bonnes histoires, un personnage féminin, il incombera à la reine de France Marie-Antoinette, admirative de l’un et inspiratrice, sans aucun doute, de l’autre.
Claude-Henri Watelet en 1774 de France et John Plaw en 1823 d’Angleterre auront révolutionné par leurs écrits et leurs dessins
l’art du jardin tellement indissociable de l’art de vivre.

Actuellement en rayon à la villa browna //

[Jardins],
Claude-Henri Watelet, Essai sur les jardins.
Paris, Prault, Saillant & Nyon, Pissot, 1774.
In-8, en brochage d’attente. Faux-titre, titre, 160, (4) pp.
Edition originale.
«Ramenant mes regards, après ce premier coup d’œil, […] je les arrête à la ferme. Un amas de bâtimens, de cours, d’enclos fixe ma vue, & excite mon intérêt. Alors j’ai un peu de curiosité pour le jardin qui ne me promettait qu’une ennuyeuse uniformité » : non ce n’est pas la reine Marie-Antoinette qui s’exprime ainsi mais bien Claude-Henri Watelet (1718-1786) dans son Essai. Personnage touche-à-tout, à la fois conseiller du Roi, receveur général des finances, peintre, dessinateur, voyageur infatigable, membre de l’Académie Royale, il est arrivé jusqu’à nous d’abord comme théoricien du jardin. En cette seconde moitié du XVIIIe siècle, le jardin à « la Le Nôtre » ennuie. Watelet lui invente un successeur, un jardin pittoresque «qui doit être un tableau devant lequel il faut s’arrêter » et duquel émergera le jardin à l’anglaise. Dans les courts chapitres de son essai écrit en 1764 et publié en 1774, il dresse des principes de composition, rappelant l’importance de la nature du terrain et de l'exposition ; des éléments modérateurs que sont les fermes ornées, les grottes, les arbres, les eaux, les fleurs, &c... La fin de l’essai prend l’allure d’une « lettre à un ami » dans laquelle Watelet décrit un jardin idéal qui s’il ne le nomme pas, n’est autre que le sien, celui du Moulin Joly à Argenteuil. La parution de l’essai fut suivie d’une visite sur place de Louis XVI et de Marie-Antoinette qui a n’en pas douter s’en inspira au moment de demander à Mique de faire naitre son hameau (1778-1782) dans le domaine de Trianon que Louis XVI lui avait offert en 1774. Springer, p. 62 Ganay, 82. Source : conservatoire des Jardins et Paysages.
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[Jardins],
John Plaw. Ferme Ornée or Or Rural Improvements. A Series of Domestic and Ornamental Designs Suited to Parks Plantations, Rides, Walks, Rivers and Farms [...]
London, Taylor, 1823.
in-folio, plein papier moderne. Titre, 14pp., 38 aquatintes tirées en bistre sur papier fort.
Planches en parfait état. Nouvelle édition de cette
Ferme ornée dont la plupart des dessins correspondent à des projets réalisées avant 1795 par l’auteur. S’il fut l’’un des premiers architectes d’importance à immigrer en Amérique du Nord britannique, Plaw (c.1745–1820) publia avant de partir trois ouvrages qui forment sa principale contribution à l’architecture. Sa Rural architecture ; or designs, from the simple cottage to the decorated villa [...], sa Ferme ornée ; or rural improvements [...], ses Sketches for country houses, villas, and rural dwellings [...]ont largement contribué à poser les standards de l’architecture de campagne et de villégiature qui fut largement en vogue au début du XIXème s. Dictionnaire biographique du Canada.
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