samedi 24 avril 2010

La classe ça ne s’acquiert pas, c’est ciné !

  La classe ça ne s’acquiert pas, c’est ciné ! On vous le prouve avec la plaquette du film des Perles de la couronne de Guitry.
   12 mai 1937. Cinéma Marignan. Première des Perles de la couronne. Les lumières s’éteignent, les bobines se mettent à tourner, le scénario de Sacha Guitry commence à se dérouler, les dialogues à fuser. Les dandys ont laissé tomber à leur pied le livret de présentation du film, les élégantes l’ont plié en deux puis en quatre pour tenter de le faire entrer dans leurs minuscules pochettes du soir.
   Qu’ont-ils fait là ! Il ne fallait pourtant qu’un coup d’œil à la plaquette pour s’en enticher éperdument. Elle est un décor de plus à ajouter aux « 90 décors, 50 vedettes, 200 seconds rôles, 1500 figurants, 8 millions de dépenses » vantés en bas de l’affiche originale du film.
   La couverture ivoire présente un gaufrage ton sur ton appuyé sur la devise anglaise « Dieu et mon droit » qui se fait discrète devant le titre calligraphié indiquant simplement « mai 1937 » cependant qu’à l’intérieur attendent 10 photogrammes imprimés en noir sur papier doré contrecollés. Outre le portrait de Guitry en fumeur invétéré, on découvre d’hallucinants « instantanés historiques » des scènes filmées en… 1518, 1580, 1590, 1788, 1796, 1815 et 1865.

Pour résumer l’astuce du scénario il suffit de savoir qu’un historien, Jean Martin (Sacha Guitry) raconte à sa jeune épouse Françoise (Jacqueline Delubac) l'histoire fabuleuse d'un collier composé de sept perles fines, jadis offert par le pape Clément VII à sa nièce Catherine de Médicis, future reine du futur roi de France Henri II. Seules quatre des perles remises à Élisabeth 1re peu après l'exécution de Marie Stuart semblent avoir traversé les époques, scellées aux arceaux de la couronne royale britannique. Or s’il fait ce récit c’est qu’il a décidé de remonter jusqu’aux trois perles disparues, bientôt talonné dans son enquête par un officier de la Maison Royale Anglaise et par un camérier du pape.
L’aventure s’émaille donc naturellement de flashbacks historiques dont sont tirés les photogrammes dorés de la plaquette de présentation. L’emploi du photogramme, qui correspond à la plus petite unité de prise de vue dont un film est constitué à raison de 24 images par seconde, donne une authenticité au propos de Guitry et rallie immanquablement le lecteur à sa cause cinématographique.
   Le lecteur devenu spectateur retrouve de surcroît les dialogues drôles et décalés d’un Guitry en pleine forme.
   Jugez vous-même :
« A Fontainebleau. Le Roi François Ier pose pour Clouet.
François Ier. - Clouet ! est-ce que vous savez comment sont les jambes de mon cousin le Roi d'Angleterre Henry VIII?
Clouet. - Non, je l'ignore, Majesté !
Au même moment, en Angleterre, Hans Holbein termine le portrait du Roi Henry VIII.
Henry VIII.
- Our brother of France is no ill-favoured man but we deem his legs not to be handsome as our own. (Notre frère de France n'est pas un homme laid, mais nous estimons que ses jambes sont moins belles que les nôtres.)
A Fontainebleau.
François Ier.
- Il est convaincu qu'elles sont plus belles que le miennes. J'en doute fort, bien qu'il soit un assez bel homme. (Le Roi se déplace en parlant) Or, savez-vous que cette question, qui devrait être secondaire, est le point de départ d'une rivalité qui retarde sans cesse une alliance difficile à conclure - et pourtant souhaitable - entre l'Angleterre et la France. Vous travaillez, Clouet?
Clouet. - Oui, Sire, je travaille.
François Ier.- Vous me donnez l'impression de quelqu'un qui reste immobile, figé devant son travail.
Clouet. - Immobile, Seigneur ! Si Votre Majesté pouvait l'être un peu plus, je le serais bien moins.»
   Un critique dont le nom a été mangé par le temps avait écrit à la sortie du film dans Cinaedia : « Production de type "international" la mieux conçue et la mieux réalisée que soit. Elle est d'une qualité "universelle" qui le rend compréhensible et assimilable par tous les publics de France, d’Angleterre, des États-Unis et d'Italie. A ce point de vue, elle marque une date dans l'évolution du cinéma parlant et de la reconquête du caractère "universel" du cinéma au temps du muet. »
On reste en effet sans voix, bercés par celles d’Arletty, de Pauline Carton et de Guitry et babas devant la beauté de Jacqueline Delubac alias madame Martin et Marie Stuart et…Joséphine de Beauharnais.

En rayon actuellement à la librairie //

[Guitry], Les Perles de la couronne
Paris, Tobis, (12) pp.
In-4 broché, couverture gaufrée et imprimée.  [12] pp.
1 photographie de Sacha Guitry imprimée en noir sur papier doré contrecollée, suivie d’un fac-simile d'autographe et  9 photogrammes imprimés en noir sur papier doré contrecollés d’après  des clichés de Raymond Voinquel représentant différentes époques du film : 1518  et Clément VII, 1580 et Marie Stuart, 1590 et Henri IV, 1788 et La Du Barry, 1796 et Bonaparte, 1815 et Napoléon, 1865 et Napoléon III, 1937 en fin et le couronnement de S.M. George VI.
Au centre, étalée sur une double page, on trouve la distribution complète du film.