lundi 28 juin 2010

Struwwelpeter qui fiche la pétoche aux marmots ravis.

Allons, allons, ne soyez pas bégueules et avouez qu’enfant, vous avez sucé votre pouce, trépigné au moment de prendre votre bain, raillé la trombine de quelqu’un ;  que vous raffoliez de vous balancer sur votre chaise et que certains se sont acharnés sadiquement sur les sauterelles. Souvenez-vous des grandes personnes qui alors, dangereusement calmes ou carrément excédées, vous sermonnaient, vous secouaient, levaient les yeux au ciel. Vous auriez été allemands, qu’ils vous auraient illico fait lire le Struwwelpeter alias Pierre l’ébouriffé ou Crasse-Tignasse. Dans ce recueil de dix « histoires cocasses et drôles » mises en vers et illustrées par le docteur Heinrich Hoffmann en 1844, vous auriez vu Pauline allumer en douce une allumette avant de prendre gentiment feu;  frémi à l’arrivée de « l’homme aux ciseaux » venu sectionner les pouces que Conrad s’évertuait encore à sucer ; pouffé de rire en regardant Philippe gigoter sur sa chaise, perdre l’équilibre et emporter dans sa chute nappe, couverts et vaisselle.
Le génie de Hoffman ne réside pas que dans la férocité des situations finales. Certes, on sait que les enfants aiment avoir peur et que les intimidations imagées marchent bien mieux que les menaces abstraites : un « cesse donc de te regarder dans la glace ou bien le diable va finir par apparaître » a toujours fait plus d’effet qu’ « une jeune fille comme-il-faut ne passe pas sa vie devant le miroir » ; un « arrête de loucher, si tu ne veux pas rester bigleux au premier coup de vent »  a invariablement mieux fonctionné que « tu es fatiguant de loucher sans arrêt, arrête, c’est crispant à la fin ». Si vous n’êtes pas convaincus par la nécessité d’un soupçon de barbarie dans l’éducation des enfants, souvenez vous seulement avoir redemandé qu’on vous raconte la mort du petit chaperon rouge, l’abandon du père de la Belle au profit de la Bête, la pomme de Blanche Neige ou l’odorat de l’Ogre. Mais cette violence latente ne fait pas tout. L’humour et la proximité des histoires du bon docteur en revanche méritent toute notre attention. Il plaint les parents des petits héros mutilés ; un chien, deux chats et trois poissons rient des mésaventures des bambins indisciplinés. L’humour provoqué par les situations absurdes et l’attitude désabusée des parents se superposent efficacement à la normalité quotidienne des historiettes. En effet, les désobéissances racontées faisaient partie intégrantes de la vie des marmots d’alors et l’attrait de la chaise qui se balance, de l’allumette qui s’allume, de la pluie provocante qui tambourine aux fenêtres, le dégout de la soupe et du bain font encore partie du quotidien des enfants d’aujourd’hui. 
L’évocation de la réalité enfantine, l’outrance des personnages adultes, le soupçon de fantastique, le goût du non-sens, voilà donc bien les ingrédients du livre d’enfant parfait. Un auteur tel que Roald Dahl aura su parfaitement les réutiliser dans ses romans au premier chef desquels Matilda ou James et la grosse pêche. Et il n’est pas interdit de penser qu’Italo Calvino a usé des mêmes procédés en permettant à son héros de 12 ans de refuser de gouter aux escargots cuisinés par sa sœur, en le faisant grimper par contestation dans les arbres et en l’y abandonnant tout le restant de sa vie. Cher Baron perché!
Outre les bêtises domestiques partagées par tout à chacun, Hoffmann aborde également des thèmes plus profonds et étonnamment contemporains. Ainsi le racisme de « l’histoire du garçon tout noir » se résout dans une marmite d’encre dans laquelle les trois garnements « qui ont ri bêtement » sont plongés et dont ils ressortent  « bien plus noir que le garçon noir ». Certains exégètes ont aussi cru voir dans la vie et la mort par jeûne de « Gaspard-mange-ta-soupe » une mise en garde contre l’anorexie.
Mais la modernité du Struwwelpeter, on la doit surtout à la personnalité même de son auteur. Touche à tout du stéthoscope et de surcroît bel homme, Heinrich Hoffmann papillonna d’abord de la médecine généraliste à l’obstétrique, des soins aux miséreux au découpage des morts. En 1851, il se tourna finalement vers les fous. C’est l’illumination. Très vite, il va concentrer ses efforts sur les dérèglements psychiques des enfants et des adolescents, à tel point qu’on le considère aujourd’hui comme l’un des fondateurs de la pédopsychiatrie. Or déjà, en décembre 1844, le beau pédiatre avait touché du doigt sa vocation. Il était parti « en ville afin d’acheter comme cadeau de Noël un livre d’images qui correspondît à la compréhension et à l’intérêt de [son fils aîné Carl Philipp, âgé de 3 ans, mais ne trouva] que d’interminables et ennuyeux récits et des histoires édifiantes ». Consterné, il préféra acheter un cahier et y jeta dessins et rimes donnant vie à aux fameuses histoires saugrenues. Le petit garçon battit des mains, les amis du père de famille le poussèrent à publier. Ce fut un carton terrible ! En 1876, on sortait la centième réédition allemande et déjà les variations en tous genres et les traductions en plusieurs langues avaient vu le jour.
Le succès ne se démentit pas dans le temps. Sigmund Freud comme de bien entendu ne fut pas insensible aux motifs de son ainé et y vit dans son Introduction à la psychanalyse (1916), « une illustration du mode de formation des symptômes ». On n’est presque pas non plus surpris qu’André Breton y ait trouvé chaussure à son pied, lui qui choisit de placer dans son Dictionnaire abrégé du surréalisme, la vignette de Pierre l’ébouriffé à proximité des mots « Eidétique, Éveiller, Expectative, Inconnu, ».
Aujourd’hui, En Allemagne, Struwwelpeter a son musée et une flopée de jeunes adeptes. Dans les pays anglo-saxons et depuis la traduction par Mark Twain à la fin du XIXe siècle, le recueil se porte comme un charme: dans les dernières années, Tim Burton en a donné une version cinématographique, Edward aux mains d’argent (1990) et les très britanniques et décalés Tiger Lillies  en ont présenté à l’Opéra Comique en 2000, une épatante adaptation pour la scène, Shockheaded Peter mi-spectacle musical mi-théâtre d’ombre et de marionnettes dans laquelle les morales avaient été exagérées à l’extrême laissant par exemple Conrad non seulement sans pouces, mais vidé de son sang et Philippe poignardé par les fourchettes et couteaux que sa chute avait mortellement animés.
Et en France me direz-vous ? Le succès reste moins brillant. La traduction de Trim pour Hachette au XIXè s. ne redonnait pas la vivacité du texte originel ; les illustrations post-soixante-huitardes de Claude Lapointe et la traduction de Bernadette Delarge n’atteignirent jamais la causticité du bon docteur (Jean-Pierre Delarge éditeur, 1980). Ces deux ouvrages fort heureusement ne sont pas facile à dénicher. En revanche, la traduction, en 1979, de Cavanna publiée sous le titre de Crasse-Tignasse, « qui installa son inspiration dans la mouvance d’Hara-Kiri et de son humour bête et méchant » est vraiment réjouissante. L’humour noir y est parfaitement lisible et la qualité littéraire de la traduction est incontestable. La bonne nouvelle est que cette traduction accompagnée des dessins originaux est toujours disponible dans la collection "Lutin poche" de l’Ecole des Loisirs. Foncez donc vous la procurer ou craquez pour les exemplaires que nous présentons. Il va y avoir rupture de stock ! Bien que …  Soudain un doute m’étreint. Est-ce vraiment un défaut de traduction qui valut au Struwwelpeter ce demi-succès en France ou bien le manque total de troisième degré des français benoitement installés dans un humour franchouillard dégoulinant ? Baste ! Enfants de primaire qui n'êtes pas encore contaminés,  rebellez-vous, cassez vos tirelires et précipitez vous sur le Struwwelpeter. 
Biblio // Barbara Smith Chalou Struwwelpeter humor or horror? : 160 years later Lexington Books, 2007.
Véronique Medard, Une oeuvre de littérature de jeunesse allemande, le Struwwelpeter d’Heinrich Hoffmann, et trois de ses traductions  (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3) http://publije.univ-lemans.fr/pdf/2.1.Medard_09.pdf
Nelly Feuerhahn  Pierre l’ébouriffé : l’énigme d’une figure surréaliste.
Sites // struwwelpeter.org  / struwwelpeter-museum.de
En rayon actuellement à la librairie //
Dr Heinrich Hoffmann Der Struwwelpeter oder lustige Geschichten und drollige Bilder für Kinder von 3-6 Jahren. Mit Jubiläums-Blatt zur hundertsten Auflage.
Frankfurt, Rütten & Löning, o.J.  s.d. (fin XIXème, après 1876). Petit in-4, cartonnage éditeur illustré en noir. [1] et 24 feuillets en couleurs.
En ouverture, feuillet anniversaire de la centième édition parue en 1876 avec le portrait âgé de l’auteur.
Dr Heinrich Hoffmann The Magic Lantern Struwwelpeter
London, New York, Frederick Warne & Co. s.d. (fin XIXème s.). In-4 cartonnage éditeur illustré en couleurs. [14] pp. Usures de manipulation.
“Designed in England, printed & made in Bavaria”! Livre à système qui pour une partie des contes fait tourner dans un rond représentant le halo de la lanterne les quatre épisodes principaux. Ces pages-ci sont en couleurs. Les autres en bistre présentent le texte de l’historiette et des vignettes.
Dr Heinrich Hoffmann Struwwelpeter Or, Merry Rhymes and Funny Pictures.
Blackie & Son Ltd., s.d. (début XXème s.)
Petit in-4, cartonnage éditeur illustré en couleurs, dos toilé vert. Titre, 24 feuillets en couleurs.
Un clic pour en savoir plus ou commander envoyez-nous un e-mail! 

mardi 22 juin 2010

Pour voyager à l'oeil en Russie, Jules Janin voyagea à la plume.

On est parfois sujets à cas de conscience cornéliens, écartelés entre la beauté d’un livre et les anecdotes qui gravitent autour de son orbite. Or, alors que nous ouvrons notre exemplaire du Voyage dans la Russie méridionale et la Crimée par la Hongrie, la Valachie et la Moldavie d’Anatole Demidoff, une feuille de papier recouverte d’une profonde écriture bleu stylo bille en profite, la traitresse, pour s’échapper des pages de garde et  virevolte jusque sur le sol. On la ramasse et on l’ignore quelque temps tout à la joie de parcourir ce volume romantique et de chercher les 26 planches tirées sur un papier fort qui arrête le doigt qui effeuille. Les 10 lithographies en couleurs qui témoignent de la richesse et du chatoiement des costumes régionaux sont particulièrement réussies. Les deux cartes de la Russie méridionale et de la Crimée qui se laissent déplier dans un bruit gracieux, nous donnent un court instant l’impression que nous faisons partie de l’expédition qui fut à l’origine de cette publication. En les repliant avec précaution, la feuille blanche méprisée tout à l’heure nous fait à nouveau de l’œil. Il y est question de Jules Janin et du voyage de Demidoff. Pourtant à relire le premier chapitre, point de Janin. Il y est indiqué que l’expédition franco-russe réunit les très scientifiques MM. de Sainson, Huot, Rousseau, de Nordmann, du Ponceau et Le Play - ingénieux ingénieur des mines qui par la suite se vit confier par Demidoff l'exploitation de ses mines métalliques de l'Oural (Il s'acquitta si bien de cette tâche qu’à son départ il laissa derrière lui de solides établissements métallurgiques et pas moins de  45.000 ouvriers). La campagne montée et dirigée par Demidoff en 1837compta bien aussi un peintre, Raffet, qui en ramena une série de splendides planches publiées dans le Voyage. S’étaient donc côtoyés un industriel russe vivant à Paris, un artiste si français que même Rome n’en voulut pas pour son Prix et une tripotée d’experts gaulois, en bref une troupe parfaitement franchouillarde, ce qui entre parenthèse fâcha tout rouge le dédicataire, Nicolas Ier, tsar de toutes les Russies qui n’y voyait pas le quart du bout de la promotion promise de son empire.
Mais pas de Janin dans cette liste officielle. Pourtant ce grand ami de Demidoff joua un rôle important dans la distribution de la pièce. Il était d’abord et en premier lieu le complice d’Anatole. Avec lui, il fit son premier voyage en Italie, et à ses côtés « vécut à Florence, les plus belles heures de sa vie ». Le livre qu’il tira de ces grandes vacances, il lui dédia dans des termes qui ne trompent pas: «Puissent ces pages, écrites dans toute la vivacité d'une admiration bien sentie pour l'Italie, la patrie poétique, durer autant que le dévouement de ma reconnaissante amitié». Réciproquement, dans le Catalogue des livres de la bibliothèque de M Jules Janin, on trouve au numéro 1019 un exemplaire sur Chine d’Esquisse d’un voyage dans la Russie méridionale et la Crimée par la Hongrie, la Valachie et la Moldavie daté de 1838, sur la page de garde duquel Demidoff lui renvoie la balle dans un envoi lapidaire qui a le mérite d’être clair: « A mon ami Jules Janin ». Plus tard, le français fit l’entremetteur en poussant son poteau à épouser la fille de Jérôme Bonaparte avec laquelle il ne fit jamais bon ménage. Demidoff ne quitta en effet jamais vraiment sa maitresse Valentine, duchesse de Dino. Et lors d'un bal costumé, la princesse Mathilde, excédée, pensant peut-être que personne ne la reconnaitrait derrière son joli loup insulta copieusement sa rivale ; sur-le-champ Demidoff administra à sa femme une magistrale paire de gifles qui fit sauter le masque et consomma la rupture. Demidoff ne semble pas en avoir voulu à Janin de ce méchant conseil marital. Peut-être parce que Janin aimait la Russie.
Déjà en 1831 dans son roman Barnave il avait écrit : « La Russie c’est la couronne du monde, j’aime ses glaces si froides et ses étés si chauds, j’aime ses palais de sapins, ses citadelles de terre cuite et ses minarets orientaux; prêtez l’oreille à ce bruit d’Empire qui grandit, et vous comprendrez combien rapide est sa croissance. Si j’étais à votre place, […] j’irais à Saint-Pétersbourg pour y découvrir cette prostituée royale qui se fait vanter par les gens de lettres de France, au poids de l’or, et je ne serais heureux que lorsque la police ombrageuse du pays m’aurait emprisonné comme suspect, pour avoir sifflé l’une des maîtresses du prince Potemkine ». Or c’est de ce Janin-là dont il est question dans la feuille volante qui décidément sait ne pas se faire oublier. Un bibliophile vengeur y a transcrit un extrait de l’article de Jules Bertaut paru dans le numéro du magazine Historia de janvier 1954. On peut y lire que « Jules Janin avait envie de faire un beau voyage » ; aussi il écrivit sur un ton sibyllin à Demidoff : « Votre noblesse se doit de faire maintenant une œuvre qui attire sur Elle l’attention de toutes les académies d’Europe […] Pourquoi ne tenterait-elle pas une expédition dans la Russie du Sud si peu connue ». Anatole « sauta sur l’idée » et s’attacha Jules comme secrétaire. « Dans l’été de 1837, la caravane se mit en route […] La randonnée terminée, un magnifique volume parut que signa bravement Demidoff, encore qu’il fût tout entier de la main de Jules Janin ». Certes Janin, « l'arbitre du goût, l'oracle de la critique, et le véritable représentant de l'esprit français » comme le résuma fort bien le bibliophile Jacob, connut une brillante carrière d’écrivain, mais qu’il eut été le nègre d’un russe cela reste inédit. Bah! On dit bien qu’il retoucha en 1832 La tour de Nesle d’un certain Frédéric Gaillardet, qu’avait déjà copieusement triturée Alexandre Dumas !
Remarquons seulement le tour de force de l’auteur caché. Car si pour voyager à l’œil, il suffisait de voyager à la plume, ça se saurait et nous serions légions sur la ligne de départ ! Aussi qui voudrait  blâmer l’astuce ? Il eut d’autant plus raison de voyager qu’il ne savait pas, le bon bougre, qu’il courait pour échapper à la goutte qui le rattrapa quelques années plus tard. Il avait, il faut dire, pris alors largement le temps de se transformer en une sorte de Humpty-Dumpty réjoui. Goutteux à la dernière extrémité, il mourut donc, à l’exemple du père de son ami Demidoff qui « usé, vieilli avant le temps, et podagre, arrivait au milieu de toutes ses fêtes dans un fauteuil roulant, d'où il ne bougeait pas ; il se retirait de bonne heure, et la fête continuait ; quelquefois même il tombait en syncope, perdait connaissance, et l'orchestre et les danses ne modéraient ni leur gaieté ni leur entrain. On emportait M. Demidoff, et voilà tout ».
Biblio  // Dictionnaire universel des contemporains.  Catalogue des livres de la bibliothèque de M Jules Janin.  Mémoires d’un bourgeois de paris.

En rayon actuellement à la librairie //
Anatole de Demidoff  Voyage dans la Russie Méridionale et la Crimée par la Hongrie, la Valachie, et la Moldavie. Illustré par Raffet.
Paris, Ernest Bourdin, 1854.
In-4°, demi-chagrin poli cerise, dos à nerfs orné de filets dorés et noirs, titre doré. XIV, 510, [4] pp., planches hors-texte.
Un feuillet de musique de la Marche Valaque arrangée pour le piano par Jules Alari. En frontispice, portrait gravé de Nicolas 1er ; 16 gravures hors-texte en noir, 10 planches de costumes en couleur et 2 grandes cartes repliées. Ex-libris. Bel exemplaire de cette seconde édition revue et augmentée par l’auteur, parue la même année que l’originale.

lundi 7 juin 2010

Oswald de Kerchove ou Celui qui préféra aux palmes académiques, les palmes botaniques.

Si Brillat-Savarin fit du cochon son cheval de bataille en assurant en 1826: « Tout est bon en lui », Oswald de Kerchove de Denterghem fit du palmier sa pomme de Newton en y consacrant en 1852 un ouvrage exhaustif illustré en noir et en couleurs qui jusqu’à aujourd’hui n’a pas été égalé. Il faut dire que, comme on devient bourreau, surfeur, chauve, monsieur Loyal de père en fils, on est aussi palmiérophile par filiation. Le petit Oswald aurait pu seulement se satisfaire de jouer au belge respectable ou de faire l’homme politique comme son père Charles et son grand-père Constant avant lui, mais c’était sans compter avec l’autre passion familiale, la botanique. Certes, pour apaiser la galerie, il fut successivement membre du conseil de comté de l'Ontario, gouverneur du Hainaut, membre du Parlement, sénateur, administrateur de la Commission des Hospices civils, chantres dans divers organismes philanthropiques et culturels. Mais les titres qu’il préféra furent ceux de fondateur des Floralies Gantoises et président de la Société royale d'Agriculture et de Botanique.
Sachez que « dès l'enfance, il vécut au milieu des plantes nouvelles et précieuses, dans ce jardin d'Akkergem où son père avait réuni des trésors et érigé [un] magnifique jardin d'hiver », sous la verrière duquel il contempla à loisir certaines variétés rares de palmiers. 
C’est là, dans la moiteur rassurante et la luminosité chaude de la serre qu’il prit lentement conscience qu’à la vie publique, il allait préférer la vie pudique, en d’autres termes, qu’aux palmes académiques il aimerait mieux les palmes botaniques.
Brillant et sérieux, il n’en mena pas moins de front sa double vie de docteur de la ville et myster Hyde park. A tel point qu’à 34 ans il était prêt à publier cette bible du palmier dont il est ici question. Il n’est pas besoin de vanter l’illustration de l’ouvrage : les nombreux dessins en noir sont précis et élégants, tandis que les quarante chromolithographies en couleurs tirées sur papier cartonné sont tout simplement surprenantes, étalage de verts et impression de chaleur diffuse. On n’a pas de mal à croire que ces spécimens aient bien été « dessinés d’après nature » par P. de Pannemaker.
Du coup, beaucoup seraient tentés de se borner à ce feuilletage d’images pour lecteurs sages. Ils auraient bien tort, car la prose de Kerchove réserve de bonnes surprises. Ainsi, selon l’auteur «comme tous les conquérants, [le palmier] trouve tout à sa convenance. Il a de cela de commun avec les gascons. « Semez des gascons, disait Henri IV, ils poussent partout » (et visiblement d’abord dans les serres flamandes) » !
L’étude des palmiers lui permet aussi de faire de la botanique théologico-vinicole en posant cette devinette: « Où sont les palmiers de Palestine, les palmiers célèbres de Jéricho, du lac Asphaltite, des vallées du Jourdain, de l’Euphrate et du Tigre, de l’immense Babylone ? Ils ont disparu comme ces villes superbes, comme la fécondité de ces vastes plaines, comme les empires des Mèdes, des Perses, des Arabes».  Mais c’est vrai ça ! Où ils sont passés les palmiers des jardins suspendus de Babylone ? Et pourquoi Zachée s’est planqué dans un sycomore alors qu’il vivait à Jéricho « la ville des palmiers » ? Pour Kerchove, la réponse est évidente : «l’islamisme conquérant a passé là et il y a fait le désert ».
L’Islam, Kerchove y revient plusieurs fois au long de son propos. Parmi les 801 usages différents du palmier recensé dans le poème tamil Tala vilassim, il y a par exemple - et tout à fait au hasard -,  tous ceux qui pourraient nous rendre pompette. Or, le Coran qui interdit le vin convient que « l’eau de palmier » n’est PAS du vin. Ah bon ! L’affaire mérite donc d’être détaillée : juste extrait, le jus est gris pâle, fade doux et sucré. Et puis, merveille, le liquide fermente à vitesse grand V et  déjà on entend un léger bruissement : mais il pétille ma parole. « Dans cet état, affirme Kerchove, il rivalise avec les meilleurs vins de Champagne et égait sans enivrer ». Oh là ! Doucement les basses, on pourrait se fâcher dans le Landernau. Mais les rémois n’auraient pas le temps de répliquer puisque quelques heures seulement suffisent à ce que l’eau de palmier « se transforme en bière blanche comme du lait [qui] grise comme l’eau-de-vie ». A ce stade, on peut faire confiance à Kerchove : en bon flamand, il ne peut manquer d’en connaître un rayon en bières.
Or, le breuvage n’est pas si miraculeux qu’il y parait ! Car c’est « la plus éphémère des boissons » qui en un tour de bras va devenir visqueuse, nauséabonde et se couvrir de mouches rougeâtres. Ce n’est pas sans raison que la sagesse arabe a coutume de dire qu’ « on ne peut boire le vin de palme qu’à l’ombre de l’arbre qui le produit ».
Mais alors ! tout s’explique. Si vous avez bien suivi, vous aurez retenu que « l’islamisme conquérant a passé là et il y a fait le désert ». Exit donc l’ombre protectrice de la large feuille découpée et dans la lancée exit le petit verre d’eau de palmier qu’on se serait bien jeter derrière la djellaba. A se demander si tout ça n’a pas été fait exprès pour ne pas avoir à renier le Coran en gardant malgré lui le Fidèle sobre comme son chameau.
BIBLIO // Revue de l'horticulture belge et étrangère, Volume 34.

En rayon actuellement à la librairie //


Oswald de Kerchove de Denterghem.  Les Palmiers. Histoire iconographique. Géographie. Paléontologie. Botanique Description. Culture. Emploi, etc.  Avec Index général des noms et synonymes des espèces connues. Ouvrage orné de 228 vignettes et de 40 chromolithographies dessinées d'après nature par P. de Pannemaker.
Paris, J. Rothschild, 1878.
In-4, demi-chagrin ivoire, couvertures et dos rayés et illustrés conservés.
VIII, 348 pp. dont 228 illustrations in-texte.  40 planches hors-texte en couleurs et 1 tableau dépliant.
L’auteur, homme politique belge en vue, reste surtout un grand expert en botanique, qui hérita de la passion de son père et de son grand-père. Il passa de nombreuses années à parfaire les jardins de la propriété familiale de Beervelde et écrivit de nombreux livres sur les plantes. Son ouvrage sur les palmiers fait encore référence. Il y consacra un temps considérable et plusieurs voyages d’étude. Edition illustrée de 40 planches en couleurs très réussies, dues à P. de Pannemaker, et de 228 illustrations dans le texte; elle est accompagnée d'un tableau dépliant indiquant « la classification des diverses familles de Palmiers d'après M. H. Wendland ». Géographie des Palmiers. Voyage dans la région des Palmiers, L'Asie, L'Océanie, Le Nouveau Monde, La grande région des Palmiers au Nouveau-Monde, Les Palmiers fossiles, Histoire, Botanique, Utilité des Palmiers, Culture. Nissen, 1032; Plesch, 287.