jeudi 14 octobre 2010

La méchante bébête à bon dieu du Gévaudan

L’abbé Pierre Pourcher (1831-1915), enfant de Lozère, abbé du Gévaudan, revint un beau jour les bras chargés d’une presse à bras, d’un lot de caractères d’imprimerie, de rames de papier, de pots d’encre. Il avait décidé de devenir curé-éditeur. 
A parcourir les titres des volumes parus, on constate que ses goûts le portèrent très vite vers les êtres malfaisants en commençant par l’idole des affreux, l'antéchrist. Il fait paraître en 1880, son édifiante radiographie  sous le titre Antéchrist, son temps et ses œuvres d’après l’écriture sainte et les saints pères. Néanmoins, ce seront les apostats régionaux qui bientôt monopoliseront son attention. Il y aura d’abord Matthieu Merle, une brute convertie au calvinisme qui s’auto-bizuta en s’acharnant sur les prêtres catholiques de sa campagne. A tel point, qu’en février 1581, il régnait par la terreur sur tout le Gévaudan, donnant à Pourcher matière à composer et imprimer un saignant Merle et seize cents prêtres massacrés.
Toutefois c’est surtout à la starlette du coin que le bon abbé destina sa meilleure huile de coude. Il se passionna en effet des années durant pour une méchante bébête à bon dieu, la Bête du Gévaudan, véritable fléau de Dieu, comme il la nomma. Consciencieusement, le brave homme compulsa les ouvrages de la bibliothèque Nationale, les articles de MM. André père et fils parus au Bulletin de l’Agriculture, les archives de l’Hérault, les registres paroissiaux. Il parcourut des kilomètres de caillasse pour aller à la rencontre des descendants des victimes afin de recueillir scrupuleusement leurs témoignages. Pourcher avait beau faire ses recherches dans les années 1880, soit plus de cent ans après les faits qui s’étalèrent de 1764 à 1767, le souvenir des carnages était encore vif dans les mémoires. Si on voulait ne citer qu’une seule preuve, on évoquerait le témoignage d’un écossais de passage, un certain Robert-Louis Stevenson, qui en 1879, renvoyait à la popularité de la bête, dans le récit de son Voyage avec un âne dans les Cévennes, précisément quand il vint à brosser le portrait de « deux véritables petites pestes qui ne pensaient qu'à jouer de mauvais tours. L'une [lui avait] tiré la langue, l'autre [l’avait] invité à suivre le chemin emprunté par les vaches ; toutes deux ricanaient et se donnaient de petits coups de coude. Dans les environs, la Bête du Gévaudan [avait] dévoré près d'une centaine d'enfants ; l'animal [lui] devint vite sympathique ».
Mais revenons à nos moutons…à notre âne… à notre Bête plutôt, et concentrons-nous sur son hagiographe. Il se trouve en effet, que l’abbé était lui-même un des descendants de ceux qui approchèrent la calamité à poil. Rares sont ceux qui ont relevé le fait. Il est vrai qu’on l’apprend presque par hasard, en lisant les documents exhumés des archives de l’Hérault : « Un jour du mois d’octobre, Pourcher Jean Pierre, le père de mon aïeul, […] avait fait battre des gerbes toute la journée […] dans la grange au delà du village [de Julianges là même où l’abbé naquit]. Il n’était pas nuit et la neige couvrait tout. [Par une petite fenêtre, il vit quelque chose]. Une espèce de frayeur le saisit. […] Presqu’aussitôt il lui arrive une bête qu’il ne connaît pas, c’est La Bête se dit-il. […] il fait le signe de croix et lui lance un coup de fusil. La bête tombe, se relève, se secoue et sans bouger de place, elle regarde furieuse autour d’elle. Le père de mon grand père lui lance un second coup de fusil, cette fois-ci elle tombe et jette un cri sauvage, se relève, se secoue, et part faisant un bruit semblable à celui d’une personne qui se sépare d’une autre après une dispute. »
Pas besoin d’être Bettelheim ou bien Freud pour comprendre le pourquoi du comment de cette enquête magistrale qui va être publiée à une petite centaine d’exemplaires. Pour bien faire gémir ses presses, l’émule de la Bible et de Gutenberg aurait paraît-il opté pour des caractères d’imprimerie taillés dans le buis. Etant donné la monstruosité du bestiau, on se serait attendu à l’emploi de l’érable, du frêne, de l’aubépine ou du tremble, préconisés dans la fabrication des pieux spéciaux « cœur de vampires ». Mais non, c’est le buis qui fut choisi, le même qui constitue les rosaires, le même qui entre dans les maisons au dimanche des Rameaux. Il faut dire aussi que c’est une essence qui sied particulièrement au travail d’imprimerie. Donc, en 1889, l’abbé commence à imprimer sa somme. Il y met assez d’amateurisme cependant pour que quelques pages bavouillent gentiment sur le papier, que d’autres semblent atteintes d'une phtisie galopante tant elles sont pâles et peu encrées, que certaines lignes aient tendance à se faire la malle en prenant une pente douce mais sans appel.
Cependant, rien ne peut arrêter le lecteur, une fois qu’il a entamé ces 1040 pages. On y suit pas à pas les fringales de la bête et les espoirs déçus des chasseurs régionaux ou royaux, français ou européens. On lit des témoignages totalement saugrenus comme celui d’un piqueur de M. le comte de Montesson, tiré d’une lettre à son maître du 26 avril 1765. Après avoir résumé les lamentables chasses passées, le brave homme confie à son seigneur que ses « six chiens se portent bien » mais que le temps est exécrable plein de « neiges, grêles, foudres, vents et pieds mouillés » et il le prie, s’il n’est pas encore « parti pour le Gévaudan, d’oublier ce voyage, car c’est un pays abominable : très mauvaise nourriture […] que des bouillons rafraichissants faits de mauvais beurre. On ne trouve point de bœuf dans le pays »… En revanche des loups, il y en a des tripotées. De nombreux spécimens sont tués qui ne sont pas la Malebête. On finit par se demander si c’est vraiment un canis lupus que l’on doit traquer. Les colporteurs diffusent alors des images sur lesquelles la bête du Gévaudan prend l’apparence d’une panthère, d’une lionne, d’un singe ou d’un monstre hybride ; les chasseurs tirent souvent dans le mile mais les balles semblent ricocher comme repoussées par une cuirasse ; des témoins la voient rire et se dresser sur les pattes de derrière, les fixer insolemment. Et puis il y a les victimes, quasi-uniquement des femmes, des jeunes filles et de très jeunes garçons. Et puis, il y a ces têtes décapitées, ces corps tués et abandonnés sans avoir été ne serait-ce qu’un peu dévorés, ces vêtements pliés à côté d’une jeune beauté nue et froide. Et il y a toujours ce regard frondeur qui ressemble si peu au regard d’un animal sauvage. Plusieurs ont été pour y voir un pré-serial-killer, au premier rang duquel Grand Papa Pourcher qui sans paraître se rendre compte de l’énormité de son propos, compare l’animal à une « personne qui se sépare d’une autre après une dispute ». Les plus hardis se sont risqués à donner un visage au tueur en série. Il se serait appelé Jean Chastel, aurait été garde-forestier, aurait connu des protections haut placées, se serait trouvé à de nombreuses reprises à proximité des lieux des attaques et surtout aurait été emprisonné en 1765 durant la seule vraie période de latence de la bestiole. Il aurait également été… le tueur de la Bête le 19 juin 1767. On suppute un terrible dressage secret, on imagine des complicités actives, on regrette la police scientifique. 
  Il reste que l’abbé Pourcher s’en tint obstinément au présupposé que la bête était un Fléau de Dieu. N’empêche. N’empêche qu’il acheta le fusil du fameux Chastel. C’est un monsieur Mouton - ça ne s’invente pas - qui se porta acquéreur pour son compte de l’arme célèbre qu’il paya 22,50 francs, somme à laquelle il fallut ajouter le prix de l’envoi au presbytère de Saint-Martin de Boubaux. Et si, malgré lui, le doute s’était insinué lentement dans son esprit. Comme si, ce qu’il avait entendu raconter enfant prenait tout son sens au moment de l’écrire : « quand la Bête lui arriva, Chastel disait les litanies de la Sainte Vierge, il la reconnu[sic] fort bien, mais par un sentiment de piété et de confiance envers la Mère de Dieu, il voulut finir ses prières. Après il ferme son livre, il plie ses lunettes dans la poche et prend son fusil et à l’instant tue la Bête, qui l’avait attendu. C’est de ma pauvre Tata, Agnès Pourcher, sœur du Tiers-Ordre, que je tiens ces détails que Chastel lui-même avait révélées à son père, mon aïeul. » Ben voyons ! La Bête broutait paisiblement pendant qu’il s’abimait dans la lecture de son livre de piété ; la Bête se léchait mignonnement les coussinets pendant qu’il refermait son opuscule ; la Bête se grattait derrière l’oreille quand il plia ses lunettes ; la Bête se roula de contentement sur le sol quand il prit son fusil ; la Bête offrit enfin son poitrail quand il tira ses deux balles bénites… Mais c’est bien sûr ! Finalement, Pépé Pourcher, Tata Agnès et Monsieur le curé n’auraient-ils été les gardiens involontaires de la clé du premier et mystérieux fait divers mettant en scène un serial-killer ? Jack l’éventreur doit se retourner de dépit dans sa tombe.[rédigé par Valentine del Moral]



LE LIVRE QUI NOUS A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE est actuellement en rayon à la librairie :
Abbé Pourcher, Histoire de la bête du Gévaudan véritable fléau de Dieu, d’après les documents inédits et authentiques. Par l’abbé P. Pourcher, curé de Saint-Martin-de-Boubaux, Lozère.
Saint-Martin-de-Boubaux, chez l’auteur, 1889.
Petit in-12, demi-chagrin, dos à nerfs orné avec en queue les armes des Bragelongne.
1040 pp. dont faux-titre et titre.
Première étude historique complète et toujours inégalée sur le phénomène de la Bête du Gévaudan. Sous cette appellation, on regroupe traditionnellement la série d'évènements qui eurent lieu du 30 juin 1764 au 19 juin 1767. Si cette étude fait encore autorité, c’est que le bon abbé rechercha, compila, et recopia pendant plusieurs années, tous les documents concernant cet épisode. Les archives publiques et paroissiales ont été fouillées par ses soins. Parallèlement, l’abbé Pourcher prit également soin de recueillir les traces de tradition orale, encore bien vivaces à son époque.  Pour en savoir plus ou l'acheter, envoyez-nous un e-mail!