mardi 2 novembre 2010

Tous saints ! Y compris les saints en veston et en pull-over.

Ainsi donc, cette année encore la Toussaint avec sa kyrielle de saints a terrassé Halloween avec sa tripotée de gamins grimés et moches. Si en France, on avait gobé jusque là et sans broncher le chewing-gum, les traductions yé-yé des tubes américains et le menu Big Mac (avec une grande frite s’il vous plait), on résiste étonnement à la mascarade d’Halloween. C’aurait pu devenir  le combat des Dracula, Miss Tic et Dark Vador du coin contre tous nos saints de partout. C’aurait pu. Mais comme le remarquait déjà en 1962 dom Philippe Rouillard avec un sens certain de la prémonition ou plutôt avec un petit coup de pouce de l’Esprit-Saint : « il est heureux que notre temps ait découvert, entre autres choses, que l’habit, qui ne fait pas le moine, ne fait pas non plus le saint [… et que cela] se traduit par de nombreuses canonisations de saints de tous les jours, de saints en veston et en pull-over, de saints en blouse blanche ou grise, de saints en blouson kaki, bleu ou noir, et plus seulement de saints en mitre, en cornette ou en capuchon ». Déjà au tournant du siècle dernier, en 1899 et 1900, à Notre-Dame du Travail dans le 14ème arrondissement de Paris, le peintre Uberti avait mis en pratique les futurs propos de dom Rouillard. Sous l’impulsion du père Soulange-Bodin, il avait figuré les saints de corporation, Eloi pour les métallurgistes, Joseph pour les charpentiers, Luc pour les ouvriers d’art. Il était plus facile de prier ces saints de tous les jours plutôt que, au hasard, Saint Papoul dont « on a oublié la vie, mais [dont on] ne risquait pas d’oublier le nom », Chérémon, « ermite au désert d’Egypte au IVe siècle : sa vie est malheureusement quelque peu ensablée » ou même Dydime «  soldat en garnison à Alexandrie, [qui] tira sainte Théodora d’une fâcheuse posture et eut la tête coupée pour s’être payé celle de son colonel ».
N’empêche que ces saints-ci ne sont pas moins aimables et que le Dictionnaire des saints publié par Robert Morel en 1963 nous les fait aimer plus encore. Leurs biographies expresses brossées avec un sens aigu du raccourci par dom Rouillard, ont, en même temps, été marquées de l’imprimatur de Gérard Huyghe, évêque d’Arras et placées sous le sceau du jeu de mot et de l’humour. Les faits, avérés bien que sacrément dépoussiérés, donnent à la consultation de ce dictionnaire des allures de lecture buissonnière : on va de saint Loup qui « succéda à saint Ours (sic) comme évêque de Troie » à  Clotaire dont la sainteté est « une forme qui consiste à ne rien faire d’extraordinaire », en passant par Oreste, « médecin, atteint  de l’amour du Christ de façon incurable. Une opération…de police ne put qu’en faire un martyr ». Il est à parier, qu’à l’exemple de Saint Laurent et sa grille, saint Cécile et sa harpe, saint Jérôme et son lion, Oreste ait hérité d’un attribut qui nous permette de le reconnaître. Serait-ce un gyrophare ? On douterait à moins. On pourra toujours s'en assurer en filant jeter un œil à une publication toute récente des éditions De Vecchi, le Guide des saints et de leurs attributs . Reconnaître et identifier plus de 600 figures chrétiennes par Bertrand Galimard Flavigny. Au format de poche, ce qui est bien pratique pour arpenter les églises parisiennes ou les musées des beaux-arts de province, cet opuscule à double entrée permet astucieusement, une recherche par nom de saint et une autre par attribut. Or, Oreste ne figure pas à l’index. Mais que sont 600 élus dans la "foule immense [d'élus], que personne n'aurait pu dénombrer, de toutes les nations, tribus, peuples et dialectes" évoquée par saint Jean dans son Apocalypse! Pour tout l'or du monde, on ne se serait pas mis à la place de l’auteur qui dut trancher dans le vif du calendrier en implorant sainte Rita d’un côté et en abhorrant le format du bouquin de l’autre. A sa décharge, le nom d’Oreste au premier abord évoque plutôt le fils d’Agamemnon, le faible frère d’Electre, le meurtrier de Clytemnestre sa man-man, la proie favorite des sœurs Erynnies avec en guest-star Mégère. Ah les furies! Ce serait peut-être marrant de se faire une tête de Mégère apprivoisée et d’aller tourmenter le 31 octobre prochain les voisins enchainés à leur tantalesque télévision . Ce serait peut-être marrant. Lorgnette écrite par Valentine del Moral.

LES LIVRES QUI NOUS ONT PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE sont:

actuellement en rayon à la librairie :
Dom Philippe Rouillard Dictionnaire des saints de tous les jours. Suivi d'une étude sur les miracles par Pierre Teilhard de Chardin.
Haute Provence, 1963.
In-16 toilé éditeur, plats encollés.
361 p. dont faux-titre et titre.
Edition originale numérotée.

dans toutes les bonnes librairies:
Bertrand Galimard Flavigny  Guide des saints et de leurs attributs - Reconnaître et identifier plus de 600 figures chrétiennes.
Paris, De Vecchi, 2010.
191 pp.
In-12 broché, couvertures illustrées.