mardi 28 juin 2011

« Je ne déforme, ni n’invente, je suis un miroir ; je réfracte ! » du Audiard? Non! Du Forain.

Forain et Caran d'Ache par Sem
Jean-Louis Forain (1852-1931) traina ses guêtres rue Campagne-Première qui abrita ses roupillons et ses beuveries partagés avec Arthur Rimbaud, au café Guerbois des Batignolles, Q.G. de Manet et des impressionnistes, à Médan alors encerclé par Zola, Maupassant et Huysmans, dans la cave d’Ambroise Vollard, les coulisses de l’Opéra, sur les pelouses des champs de courses sur lesquelles il fut surpris par Sem, discutant crayon et chiffon avec Caran d’Ache, dans les tranchées boueuses de 14-18 et les boudoirs  capiteux de la jet-set d’après-guerre. A chaque fois, il garda ses quinquets grand’ouverts et imprima sur ses rétines les exactes images de l’air du temps.
« Je ne déforme, ni n’invente, je suis un miroir ; je réfracte ! » clamait-il. On aurait dit du Audiard avant l’heure. Or, c’était pourtant là, l’exacte vérité. On a pu s’en apercevoir lors de la rétrospective que le Petit Palais vient de lui consacrer et qui a permis d’envisager cet artiste sous le jour de son siècle. Passe-partout, il croqua les petits rats de l’opéra à la manière de son grand ami Degas à qui il chipa pastels et contrechamps ; il fut intronisé benjamin des impressionnistes avec lesquels il exposa quatre fois entre 1879 et 1886 ; il succomba comme Vuillard aux appâts de la peinture mondaine qui lui fit exécuter le portrait d’Anna de Noailles, « la seule ombre qu'en mourant (elle aurait voulu) laisser sur le mur de l'univers ».
Il fut surtout le fils naturel de la Littérature et de la Peinture qui en cette seconde partie du XIXème siècle filaient le parfait amour, liant la plume au pinceau et l’œil au verbe. Surnommé Gavroche en 1872 par Verlaine et Rimbaud alors que les Misérables parus en 1862 ne faisaient pas encore figure de monument national, il sera divinement comparé en 1914 par Apollinaire : « aucun homme sinon Molière ne sut s'élever comme Forain à ce sublime comique qui ne va pas sans amertume ». Mais c’est la grande amitié qu’il le lia à J.-K. Huysmans (1848-1907) qui illustre encore le mieux ce voyage de noces de l’encre et de l’huile. Il vanta et lança le jeune Forain, lui fit illustrer en duo avec Raffaëlli en 1880 ses Croquis parisiens, accrocha ses dessins de petites femmes nues aux murs qu’il remplaça plus tard par des images chastes et pieuses et continua sa vie durant à le recevoir à diner le dimanche soir avec d’autres intimes. C’est à cette table que l’abbé Mugnier ne put s’empêcher de s’exclamer : «  [Forain ?] On a dû le baptiser au vinaigre !» Ses bons mots cinglaient en effet autant que ses caricatures qui savaient aller là où cela faisait mal, en d’autres mots, à l’essentiel. L’immédiateté de lecture de ses dessins cachait farouchement l’observation continuelle, l’analyse poussée, le travail parachevé du dessinateur. Interrogé sur le temps passé pour exécuter un dessin apparemment troussé sur un coin table, il répondit par une pirouette évocatrice: « Cinquante ans !»
Forain :: Comédie parisienne

Si l’exposition du petit Palais n’est plus visitable, actuellement en villégiature à la Dixon gallery de Memphis aux Etats-Unis, nous pouvons nous consoler en nous mettant sous la dent ses dessins de presse réunis en recueils. Sa Comédie parisienne réduite en 1892 par les éditions Charpentier à 250 dessins remplit parfaitement son dessein de « conter la vie de tous les jours, montrer le ridicule de certaines douleurs, la tristesse de bien des joies. » On y passe derrière le rideau de l’Opéra, on collectionne les lits défaits, les amateurs de grisettes, on oppose le gris bourgeois au rose petit peuple, on se moque gentiment de Zola, on sourit sonore. Seul le sexe faible semble se tirer de toutes les situations, même les plus scabreuses ou médiocres. J.-K. Huysmans, dans Certains en 1889 résumait le phénomène par cette formule : « M. Forain a voulu faire ce que Guys révélé par Baudelaire, avait fait pour son époque, peindre la femme où qu'elle s'affirme ». Dans Doux pays, Forain réussit l’exploit posthume de nous intéresser aux présidences de Carnot, Casimir Perier et Félix Faure, en pointant les mauvaises
Forain :: Doux pays
manières politiques, encore en vigueur aujourd’hui, en révélant la face cachée des événements officiels et en montrant les conséquences supportées par le quidam français. Ainsi, interpellée par un monsieur aux souliers crottés qui lui demande « où est le cireur de botte », une vieille vendeuse de journaux appuyée au comptoir de son kiosque lui rétorque impassible : « On vient de le nommer sous-préfet ».

   Le XIXème siècle finit par passer l’arme à gauche et on entra dans la première guerre mondiale. Enrôlé à soixante ans bien tassés dans les ateliers de camouflage militaire, il s'arma de mines de crayon et de pierres lithographiques. Deux tomes de dessins, De la Marne au Rhin, en sont le fidèle témoignage. En raillant les politiques en veston cravate et les planqués de la côte d'Azur, en éclairant le flegmatisme des petits gens de l’arrière, en griffonnant les icônes à venir de cette première guerre totale, au nombre desquelles figure Verdun, Forain y fit montre d’une acuité qui ne s'émoussa pas avec la vieillesse et le tourbillon des années folles.
Forain :: Verdun
C’est d’autant plus frappant qu’en 1931, au jour de ses funérailles, Paul Léon (1874-1962), longtemps directeur Général des Beaux- Arts, qui avait fait entrer après-guerre Forain au musée du Luxembourg, acheva l’éloge funèbre de l’artiste par ce raccourci lumineux: « Cet ironiste était un tendre, ce sceptique un patriote, ce désabusé un croyant ».
© texte et photos villa browna // Valentine del Moral



LA LITHOGRAPHIE ET LES LIVRES QUI NOUS ONT PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE, actuellement en vente à la librairie:

[Lithographie] Sem, Caricature de Forain et Caran d’Ache.
Sem caricature ici deux illustrateurs phare de l’époque.
Sont représentés, discutant sur le champ de courses Jean-Louis Forain et Caran d’Ache [Emmanuel Poiré], (1858 - 1909) fut un célèbre dessinateur humoristique et caricaturiste français. En 1898, Caran d'Ache et Forain co-fondèrent, le journal Psst… hebdomadaire satirique antidreyfusard qui connut 85 livraisons. 46 x 32 cm (hors encadrement). Lithographie encadrée. En savoir plus ou commander : envoyez-nous un e-mail!  

Jean-Louis Forain  La comédie parisienne
Paris, Charpentier et Fasquelle, 1892.
In-12, broché, couvertures illustrées en couleurs.
Edition originale, mention de septième mille. 250 dessins en noir accompagnés d'une légende assassine. En savoir plus ou commander : envoyez-nous un e-mail!  






Jean-Louis Forain  Doux Pays
Paris, Plon, 1897.
In-12, demi-chagrin, couvertures illustrées en deux tons conservées.
189 dessins en noir dont certains en planches dépliantes repassent les présidences de Carnot, Casimir Perier et Félix Faure, et pointent des  mauvaises manières politiques en vigueur aujourd’hui encore. En savoir plus ou commander : envoyez-nous un e-mail!  





Jean-Louis Forain  De la Marne au Rhin. Dessins des années de guerre 1914-1919.
Paris, Editions Pierre Lafitte, collection des grands humoristes, 1920.
2 volumes in-8 brochés, couvertures illustrées.
Exemplaires sur grand papier du tirage de tête de l’édition originale numérotés et paraphés par le dessinateur à la mine de plomb. En savoir plus ou commander : envoyez-nous un e-mail!  






En ce qui concerne l’exposition Jean-Louis Forain: