jeudi 27 octobre 2011

Et Kupka créa Gina Lollobrigida

JUSTE QUELQUES LIGNES POUR CEUX QUI SONT PRESSÉS COMME DES LAVEMENTS.
(C’est dommage : il est même question de Gina Lollobrigida dans la suite du texte...)

33 ans, l’âge du Christ mort et ressuscité. 33 ans, l’âge de Frantisek Kupka en 1904, année de sa rencontre avec Eugénie Straub, sa future femme ; année encore de sa première approche du Cantique des cantiques.
Progressivement dès 1909 Kupka s’éloignera de la ligne figurative pour aboutir aux compositions abstraites qui sont représentatives de son œuvre. Pourtant de 1904 à 1931, inlassablement il va rester fidèle à la courbe féminine en retravaillant et repensant ce texte sacré. C’est un peu comme si ce premier travail d’artiste du livre, cristallisé par sa rencontre amoureuse, voulait prouver au monde que « quand on aime on a toujours 20 ans » et que cet amour rend immuable ce qui l’entourait alors. Or, en ce début de XXème s., Kupka est encore sous emprise viennoise et on voit ici et là des lignes à la Klimt, des cheveux à la Mucha.
Les marges aérées du papier très blanc laissent courir autour d’elles une large guirlande florale monochrome, rose, bleue, verte ou grisée qui diffuserait presque un parfum capiteux et oriental, juste accompagnement de la lecture ce texte sensuel et sacré revisité par un Kupka inspiré. 

LE LIVRE  Cantique des Cantiques qui est Sur Salomon.  Traduit littéralement et remis à la scène par Jean de Bonnefon. A été joué pour la première fois à Paris le 22 mai 1905.
Paris, Librairie Universelle, s.d. (1905).
In-folio broché sous couverture illustrée d’une illustration noire et ors. Dos fragile, couverture légèrement brunie.
82 pp., table. Certains des ornements ont imprégné d’une auréole la page qui les précède. 
Rare premier tirage de la première série d'illustrations de Kupka pour le Cantique. Exemplaire numéroté sur Hollande.  Couverture en deux tons, cinq illustrations à pleine page et une à mi-page en noir. Guirlande florale monochrome en encadrement de chaque page.

QUELQUES LIGNES SUPPLÉMENTAIRES POUR CEUX QUI N’ONT PAS NON PLUS LE TEMPS ( mais qui le prennent ).

Or, il n’y a pas que sur Kupka que le Cantique des Cantiques ait fonctionné. On pourrait même finir par croire que ce texte agit mieux qu’un philtre d’amour  sur les artistes qui l’approchent.  Envouté Chagall, envoutés Matisse, Edy-Legrand, Lobel-Riche et Woda. Ce livre tiré de la Bible va tenir au corps František Kupka (1871-1957) près de 25 ans, jusqu’en 1931 quand les éditions Piazza soutenues par Jindrich Walde, génial inventeur tchèque du bouton pression et de l’épingle à nourrice lui permettront de publier la quintessence de ses recherches.
Si durant cette longue période, il griffonne, esquisse et aquarelle le Cantique, Kupka prend également le temps de se documenter pour alimenter son imaginaire. On découvre au fil des six illustrations un environnement oriental plus proche de l’Assyrie que de la terre promise. Outre les guirlandes luxuriantes qui encadrent chaque page, un roi les cheveux frisés qui tombent sur les épaules et la barbe longue taillée au carré de certaine illustration permet du premier coup d’œil de reconnaître l’antique mode assyrienne. La forme et le drapé de la robe du monarque s’y réfèrent également et le tissu imprimé de lions en majesté mais dociles appuie cet emprunt. Le lion, symbole de la nature sauvage est en ce temps l’image favorite de la force et de la prédominance des civilisations mésopotamiennes qui le matent et l’emploient.  




 



Kupka, attiré par les découvertes archéologiques reste néanmoins les deux pieds dans son époque. On a déjà évoqué pour les lecteurs pressés, les références à la sécession viennoise, à Klimt, à Mucha. Il ne faut pas non plus négliger l’influence que Gustave Moreau a pu avoir sur sa réflexion esthétique : à confronter sa Sulamite rencontrant Salomon à l’aquarelle de Moreau intitulée Apparition (1876) on ne peut d’ailleurs qu’en crever d’envie : si jambes et bras de Salomé sont tendus alors que ceux de l’Aimée se replient, ils participent pourtant les uns et les autres à un mouvement de torsion vers l’avant qui amorce le mouvement de recul des deux jeunes femmes. Leurs corps se dérobent et leurs regards se soustraient dans une inclinaison de visage qui leur permet d’échapper à la tête en gloire de Jean-Baptiste pour l’une et au roi Salomon pour l’autre. 
Enfin, bien que la directrice du Musée d'art et d'histoire du judaïsme à Paris, Laurence Sigal, affirme dans une interview qu’ « il est clair que Kupka a eu une approche absolument pas religieuse de ce texte, mais une approche que l'on ferait d'un poème amoureux et sensuel », il faut noter qu’une dimension sacrée subsiste bel et bien dans le travail de Kupka. Elle ne réside pas tant dans la présence d’un chandelier à sept branches sur une des illustrations que dans le traité d’une lumière filtrée par des vitraux. Dans trois des gravures en effet, le vitrail joue un rôle capital. Ils se multiplient dans l’une, hommage aux rosaces multiples de la cathédrale de Chartres ; dans une autre, il annonce les compositions contemporaines de vitraux, du géométrisme de la chapelle de Ronchamp réalisées par Le Corbusier au milieu des années 1950 à la répétition linéaire de Soulages pour l’abbaye de Conques (1987-1994).


















Je sens que vous trouvez tout ça un peu trop sérieux. Préféreriez-vous imaginer que la Sulamite de Kupka a pu inspirer l’Esmeralda de Jean Delannoy. Qu’à cela ne tienne et je vous fais juges ! Qu’en pensez-vous madame Lollobrigida ?  © texte et photos villa browna // Valentine del Moral