lundi 17 septembre 2012

Saint-Amant ou la revanche posthume d’un Boit-sans-soif sur un Boileau.

JUSTE QUELQUES LIGNES POUR CEUX QUI SONT PRESSÉS. (C’est dommage : dans la suite du texte on cause jaja et bouftifaille et on médite sur le verre à pied).
Galant militaire. détail
   D’inspiration bachique, jouissive et jubilatoire, la poésie de Saint-Amant (1594-1661) se refusa obstinément à suivre les règles de Malherbe, subit les foudres de Boileau et tomba dans un semi-oubli jusqu’au XIXème s. qui redécouvrit la liberté de ton de ses œuvres, pour une part réunies par l’éditeur Daré en 1649 dans un petit volume relié en vélin que nous feuilletons présentement.
   Théophile Gautier dans ses Grotesques a consacré un chapitre si gai et si imagé au poète qu’on aurait presque des scrupules à marcher sur ses plates bandes. Cependant en 150 ans, il en est passé de l’eau sous les ponts et on peut sans crainte ajouter deux ou trois idées à son éloge.

   
   On ne reviendra pas précisément sur les éléments de la vie de Saint-Amant d’autant plus sereinement qu’on ne les connaît pas. En revanche, on insistera sur les paradoxes du bonhomme qui s’auto-portraitura un jour « gros, gras, court, les yeux doux, le teint frais, les cheveux blonds et frisés comte allemand, la face épanouie, la bouche vermeille et la moustache en croc »  à l’image du Galant militaire peint au milieu du 17ème s. par Ter Borch et qui est toujours accroché, vous pouvez l’aller voir, au musée du Louvre. 

QUELQUES LIGNES SUPPLÉMENTAIRES POUR CEUX QUI N’ONT PAS NON PLUS LE TEMPS (mais qui le prennent).

Le melon par Saint-Amant

   Une première bizarrerie réside dans l’essence même de sa «littérature, toute imprégnée encore de la forte saveur de Ronsard» et qui donc aurait du être empreinte, par obédience, du gout de l’antique et de l’Italie. Or, Saint-Amant  avait fait l’impasse sur les langues mortes pour se concentrer sur les langues vivantes, l’espagnol, l’italien et l’anglais qu’il parlait parfaitement. A la trappe le latin et le grec ! Exit Rome aussi, leur succédané géographique ! Non seulement il n’a pas été ému par son passage dans la ville éternelle, mais il la railla joliment. Le Tibre devint un mauvais petit fleuve, un ruisseau qu’un nain franchirait d’une demi-enjambée et dans lequel une canepetière ne pourrait nager que d’une patte. On a l’air malin à bouder l’Olympe quand on s’appelle Marc-Antoine ; et ce mépris fait un peu chiqué quand on surprend à quelques poèmes de là, Apollon délaisser torche et violon,[…et ] garder en guise de vacher, un troupeau qui nous est si cher, et dont la mamelle féconde, fournit du lait à tout le monde, de ce lait nécessaire à la fabrication du fromage qu’il vénère. Mais à vrai dire, pour ce voyageur qui visita par goût l’Amérique, le Sénégal, les Açores, et peut-être mêmes les Indes, qui séjourna dans les pays de ses protecteurs en Angleterre, Italie, Pologne, Suède, Paris restait la ville-étalon d’autant que les muses de la Seine si délicates, ses meilleures conseillères, l’y faisaient revenir toujours.
 

Naissance de Pantagruel
   Ce buveur patenté était en même temps fin lettré et il serait criminel de céder à la facilité de faire de Saint-Amant un poète de cabaret, comme au XXème s. on fit de certains grands écrivains de simples gâte-papiers régionalistes. En effet, "son haleine est plus longue que le couplet d’une chanson à boire".  Son véritable maître ne fut finalement peut-être pas Ronsard, mais plutôt Orphée, puisqu’on sait qu’il fut simultanément poète et musicien accomplis. «C’est d’ailleurs, souligne Gautier, se basant sur ses connaissances et sur une investigation de terrain, une particularité assez remarquable chez un poète français ; on en cite guère qui aient été musiciens et poètes à la fois, à moins que ce ne soit dans les temps très-anciens».
   Théophile Gautier nous figure si bien Saint-Amant, qu’il semble regretter de ne pas avoir pu s’attabler avec lui. Pourtant, ce ne sont pas les compagnons qui lui manquaient pour refaire le monde

Mais peut-être se trompe-t-on. Au travers de ce texte amical, Gautier a voulu, qui sait, nous faire sentir que Saint-Amant n’aurait pas fait tâche au milieu d’eux. On ne serait pas loin de penser comme lui et on aurait raison. Si l’ Ode à la solitude du poète du XVII ème s., alors en résidence à Belle-Isle chez le duc de Retz, annonce les Rêveries d’un certain promeneur solitaire du XVIII ème s., elle répond encore plus familièrement aux belles pages des romantiques du XIX ème s. dans lesquelles la sève de la nature devient le miroir de l’âme humaine. On imagine surtout et sans peine, celui qui fit régner les cinq sens sur la poésie, en train de taper la discute avec les jeunots et parfaire ses correspondances avec Charles Baudelaire.


Le Fromage par Saint-Amant
   Réputé homme de l’instantanéité et de la pochetronade, Saint-Amant se révèle drôlement précurseur sur ce coup-là. Et qui l’eut cru, il va même jusqu’à s’improviser Nostradamus gastronomique. Il a par exemple flairé que pour parler de bonne chère au XXème s., il serait de bon ton de russifier son nom. Voyez le donc, qui, entre deux bitures, formidables puisque polonaises, décide de se renommer Saint Amantski. Le sieur Saillant, prince des gastronomes, sacré Curnonski par ce farfadet de Cocteau, n’a plus qu’à aller se rhabiller. Saint-Amant annonce dans la foulée le boom médiatique de la cuisine du XXI ème s. qui envahit les programmes de télévision, les émissions de radio et  les romans historiques : sa poésie se place résolument sous l’égide de la table et, qu’il soit attablé aux côtés de la reine Christine ou affalé au zinc d’un caboulot interlope, il reste le chantre indéfectible de la bouftifaille et du jaja. En lisant Saint-Amant, on renifle les fromages dont il veut que la seule mémoire, le provoque à jamais à boire, on hume des vins de Loire, le vin blanc d’Arbois, le cidre par lequel Pomone fait honte à Bacchus, on se prosterne devant un melon que, ni le cher abricot qu’il aime, ni la fraise avecque la crème, ni la manne qui vient du ciel, ni le pur aliment du miel, ni la poire de Tours sacrée, ni la verte figue sucrée, ni la prune au jus délicat, ni même le raisin muscat, ni les baisers d'une maîtresse quand elle-même nous caresse, ne pourraient détrôner.
 

   La bonne chère apparait indissociable du vin : l’un conforte l’une ; l’une appelle l’autre, que Saint-Amant, Avec des gens de [son] métier, C'est-à-dire avec une troupe, Qui ne jure que par la coupe, célèbre sous toutes les coutures. Bacchus conquérant est son patron. Et si Ronsard fit passer quelques demoiselles à la postérité en leur consacrant des sonnets, c’est ses amis leveurs de coude que Saint-Amant choisit d’immortaliser. Il égrène leurs noms ici et là, leur consacre parfois un poème entier comme cette Chanson à boire à la santé du comte de Harcour. Il ne lui suffit donc pas de s’enivrer pour de vrai, il lui faut s'en souvenir sur le papier et c’est tout naturellement que La terre eut le hoquet au moment de La naissance de Pantagruel et que Jupiter en fut ivre comme une soupe.
   Le chancelier Séguier, qui était de ses amis d’Académie, trouva à propos de lui allouer en 1638 une charge de verrier. Rien ne pouvait tomber plus à pic pour ce poète aux poches remplies d’écus qui se changeaient invariablement en liquide:s’il avait toujours besoin à ses côtés, d’un encrier bien rempli, il ne pouvait pas non plus écrire sans un grand verre de vin tourné Dans le cristal, que l'art humain, A fait pour couronner la main. Pour l’avoir confessé, notre Boit-sans-soif fut sauvagement attaqué par un Boileau et que de l’eau. Mais aujourd’hui, si les Satires de l’un se laissent lire du bout de la fourchette en argent, on enfourne la poésie de l’autre avec ravissement, tout étonnés qu’elle nous ait échappée jusque-là. Tchin ! © texte et photos villa browna // Valentine del Moral


LE LIVRE QUI NOUS A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE est actuellement en vente à la librairie:
Oeuvres de Saint-Amant
Marc-Antoine de Saint-Amant, Les œuvres du sieur de Saint-Amant, Augmentées de nouveau. Du Soleil Levant, Le Melon, Le Poëte Croté, La Crevaille, Orgye, Le Tombeau de la Marmousette, Le Paresseux, Les Goinfres.
Rouen, Robert Daré, dans la Court du Palais, 1649.
In-12, plein vélin souple, titre à l’encre sur le premier plat, dos muet. Titre, [14], 277, [3] pp., tache pâle en marge verticale de quelques cahiers.
A l’origine du genre burlesque, Saint-Amant fut aussi celui qui introduisit les cinq sens dans la poésie française. De nombreux poèmes vantent les produits, les joies et les excès de la table.Introduit dans des milieux aussi opposés que ceux des jansénistes et des libertins, il fut avant tout et toute sa vie, homme de cabarets. D’inspiration essentiellement bachique, ses satires mais aussi ses odes et ses sonnets se refusèrent obstinément à suivre les règles de Malherbe et tombèrent du coup dans un semi-oubli jusqu’au XIXe siècle qui redécouvrit leur liberté de ton et remis à l’honneur ses pièces telle son «Paresseux», sonnet fameux. Première et dernière pages blanches occupées par des les ex-libris manuscrits de Lesueur, 1669 et de Pierre Chesnon, 1684.
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