mercredi 12 février 2014

AMOUR, AMOUR, JE T'AIME TANT !

JUSTE QUELQUES LIGNES POUR CEUX QUI SONT PRESSÉS. (C’est dommage : dans la suite du texte, on louche sur des corps à la François Boucher, on apprend à ne pas confondre amour et plaisir, on célèbre l’illustration des années 30, on joue à cache-cache)

Si le 14 février  marque la fête des amoureux, c’est la faute aux païens… Saint Valentin, qui pourtant nous est cher, n’y est pas pour grand-chose et a été ajouté comme un cheveu sur la soupe. Le 15 février, dans la Rome antique, on fêtait Lupercus, le dieu de la fécondité. Ce jour là, ses prêtres sacrifiaient à tour de bras des chèvres; de leurs lames sanglantes, ils badigeonnaient le front de jeunes patriciens des deux sexes ; échauffées, ils azimutaient ensuite un beau bouc et taillaient dans sa peau des lanières cinglantes. Les luperques se débarrassaient alors de leurs coutelas et par la même occasion de leurs toges. Puis, nus comme des vers, ils se mettaient à courir autour du Palatin en frappant de ces fouets bio, les femmes en mal de fertilité qui se mettaient sur leur passage. La veille de ce grand barnum coquin, le 14 donc, les célibataires organisaient un grand cache-cache. Les garçons fermaient les yeux, comptaient jusqu’à 100 tandis que les jeunes filles, en criant des petits cris, s'égaillaient tout en cherchant à se cacher, un tout petit peu seulement.... Il s’agissait, ne l'oublions pas, de rencontrer l’âme sœur au coin de la rue ! Le jeu aurait pu s’appeler « Oh vous z’ici, je vous croyais z’au zoo », si vous voyez ce que je veux dire.
On imagine bien qu’interdire un tel tralala aurait été bien malaisé et il fut décidé de le convertir en ce que nous connaissons aujourd’hui : la saint Valentin. La fête connut son heure de gloire à la fin du XIVe, au début du XVe siècle.
 Retrouvant de la vigueur fin XIXe siècle et dans la première partie du XXe, la fête des amoureux inspira les papivores anglo-saxons qui se déchainèrent à grands coups de tampons postaux apposés au verso des Valentine’s Day cards. Les latin lovers bibliophiles, eux, ne résistèrent pas à la littérature badine illustrée, genre bien distinct de la littérature érotique pure et…dure.  

QUELQUES LIGNES SUPPLÉMENTAIRES POUR CEUX QUI N’ONT PAS NON PLUS LE TEMPS (mais qui le prennent).
Enjoué, léger, frivole à première vue, le genre badin a pourtant souvent favorisé un travail d’illustration raffiné et diffusé de sages préceptes. On en prend ici pour exemple deux ouvrages à nos yeux également désirables. On destinera, l’un aux friponnes qui nous lisent – ce sera, La leçon d’amour dans un parc de René Boylesve -, l’autre aux coquins qui nous feuillètent – j’ai nommé, L’amour par Paul Géraldy.
Carlègle (1877- 1937) et Lepape (1887 – 1971), deux illustrateurs phare des  années 30, ont épaulé Boylesve et Géraldy dans leur entreprise.  Ils ont mis leur travail d’illustration sous la protection d’Amour. Leurs Cupidons sont tous deux aveuglés, bien que pour des raisons diamétralement différentes. Celui de Lepape, arc dans une main et flèche dans l’autre, a la tête en l’air et regarde on ne sait quoi : Zeus peut-être, se curant avec ennui le dessous des ongles avec son trident, préambule à n’en pas douter à une future chasse à la jolie fille. Celui de Carlègle, quant à lui, a la tête baissée et pour cause : « Cupidon décochait une flèche au hasard. Et l’exquise particularité de cette figure était que, au lieu de fixer le but où va voler la pointe mortelle, l’adolescent, les paupières basses, regardait avec une surprise ingénue cette autre menue flèche suspendue au bas de son ventre, et qui, pour la première fois, révélait son usage ».
Dans ces deux ouvrages, on l’aura compris il n’est pas question de l’Amour avec un grand A que Rodrigue et Chimène, Clèves et Nemours, Pyrame et Thisbé ont pratiqué; mais de l’amour qui circule, lutine, pince les fesses, enivre parfois, attriste d’autre fois, mais toujours inspire. La leçon d’amour est un genre d’Émile de Rousseau dans lequel, à force de charmants chapitres qui prennent l’allure d’un roman picaresque tourangeau, Boylesve explique que les filles bridées d’éducation et de soins se révèlent régulièrement d'effroyables madames de Merteuil tandis que la jeune fille élevée au naturel voit, entend, assimile les folâtreries des grandes personnes puis les oublie au moment de tomber gentiment amoureuse. Si Géraldy intitule son livre L’amour, notez le « a » minuscule, et si le sous-titre Le point de vue de l’Homme apparait dans la première vignette, c’est qu’il a cherché à rédiger un traité de libre-échange amoureux à l’usage des hommes de la puberté à la tombe. « Mon petit, te voilà jeune homme » lit-on aux deux premières lignes ; mon petit... Je ne voudrais pas te paraître vieux jeu ni encore moins grossier. L’homme de la Pampa parfois rude reste toujours courtois mais la vérité m’oblige à te le dire : « beaucoup d’amants confondent l’amour et le plaisir et ressemblent aux voyageurs qui s’imaginent qu’ils aiment une ville parce qu’ils y ont bien mangé ». A vrai dire, Boylesve ne dit pas autre chose en jetant sa Ninon dans les bras de Châteaubedeau, paillard assez repoussant mais jeune, mais sensuel alors qu’ « elle eût aimé avoir comme amant » Dieutegard, amoureux, sensible, attentif, jeune et vigoureux, dont la poitrine une fois découverte montrera, gravé à même la peau, le nom de l’être aimé. Est-ce à cause de ce parti-pris que certains académiciens refusèrent de voter pour l’aimable auteur qui investit cependant en 1919 le fauteuil 23 ?
Boylesve a placé l’action de son roman dans un XVIIIe siècle aimable, plus Nouvelle Éloïse dans sa barque que vieux philosophe en pleines Lumières. Son héroïne au « corps potelé, souple, frais éclatant sous la peau » a des faux airs de la belle Morphise de François Boucher qui devint une des petites maitresses de Louis XV. Ni l’une ni l’autre ne furent présentées à la cour et c’est tant mieux en ce qui nous concerne, puisqu’en l’envoyant à Versailles, on aurait perdu de vue la cour bon enfant qui gravite autour de Ninon. Le XVIIIe inspire en partie aussi l’illustrateur de L’amour, George Lepape, qui fut le chantre de la Gazette du bon ton, l’ami de Paul Poiret, le costumier de théâtre que l’on sait. Il a raison de prendre ses libertés avec l’époque car si les conseils de Géraldy s’adressent expressément aux hommes de 1945, ils sont pour certains sans âge : « aie mille aventures. Ne laisse pas passer l’âge des femmes » ; « les vraies femmes sont faites pour être pourchassées, pour se défendre, et pour céder ». Mais, plus que les hors-texte, ce sont ses vignettes au trait, en noir et rose qui rendent délicieux le feuilletage de Géraldy.
Eh oui ! Que c’est doux de tomber amoureux même si l’on sait que les histoires d’amour finissent mal…en général. Géraldy ne se prive pas de parler ici et là des ruptures, des dégouts, du temps qui passe. Boylesve n’y va pas non plus avec le dos de la cuillère pour le démontrer. Il choisit un autre plaisir de roi, la chasse, pour le faire comprendre. Si Ninon se détourne de son mari, c’est parce qu’après quelques mois de félicité, celui-là « retourna à la chasse… la lune de miel était terminée ». A son tour, plusieurs années plus tard, la belle prend goût à l’exercice. Toutes les bêtes familières du parc y passent : paons, cygnes, colombes, agneaux, chiens de berger, daims et finalement le délicieux et malheureux soupirant Dieutegard.
Que voulez-vous ? « Qu’on l’appelle diable ou bien l’Amour, il est le même en tous pays, en toutes langues ; honni ici, adoré là, il se plaît ici comme là ; audacieux et charmant, il se rit des dieux et des hommes, car il se sait leur maître », et même du lettré qui aura lu, annoté et médité les réflexions et aphorismes de Géraldy… C’est dans l’ordre des choses. Pour obliger Cupidon à nous oublier en nous abandonnant dans les bras du grand Amour, Il faudrait avoir sous la main la peau du lion de Némée ou à la rigueur une peau d’âne. « Amour, amour, je t’aime tant » ! Mais ça ne court pas les rues ! Il reste bien la possibilité, le 14 février, d’y descendre dans la rue, … pour jouer à cache-cache. Vous êtes prêts? 1, 2, 3, 4, 5, … 

LES LIVRES QUI NOUS ONT PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE sont actuellement en vente à la librairie:

Paul Géraldy   L’amour

Paris, Editions de L'Ile de France, 1945.
In-12, broché remplié. Couverture illustrée d'une composition de Georges Lepape en noir et rose. 135 pp.
Tirage limité à 3500 exemplaires, celui-ci numéroté sur vélin fin.
Bel état. Nombreuses illustrations de Georges Lepape, hors texte en couleurs reproduites par Louis Mansat. Très   nombreux in texte en noir et rose.‎ Un sous-titre apparait dans la première vignette « L’amour. Le point de vue de l’Homme ». en savoir plus ou commander l'exemplaire

Carlègle | René Boylesve ‎  La Leçon d'Amour dans un parc Illustré par Carlègle.‎
Paris,  Mornay, 1929. 49ème volume de la Collection Les Beaux Livres.
Epais in-8 broché, sous jaquette illustrée en couleurs. 292 pp., justification de tirage. Une cassure au dos dans la longueur n’altérant pas l’intégrité du dos.
Exemplaire à grandes marges sur grand papier. Tirage limité à 1091 exemplaires, celui-ci n°5, un des 71 exemplaires sur Japon, deuxième papier après 3 Japon ancien. Nombreuses illustrations de Carlègle, colorées à la main au pochoir.
L'Art et les artistes, Volume 17, p. 92, 1913 : « Voici Carlègle qui, de son crayon ironique et tendre, illustre la Leçon d'amour dans un parc de Boylesve ».  en savoir plus ou commander l'exemplaire