mercredi 23 mars 2016

Dinard, avant qu'il ne soit trop tard!





#EnBref, PourCeuxQuiSontPressés


Une nouvelle #lorgnette sur un #LivreAncien par la #VillaBrowna.
Un #AlbumChic de 40 planches du #MondeDAvant14, en #TirageLimité à 300 exemplaires.
Ecrit par #AlbertFlament et dessiné par #Givré, #Sem de #VilleBalnéaire, bientôt #MortPourLaFrance.
On y danse, on y nage, on y reçoit la #ReineDeDinard, l’#InfantLuis-Fernando, le «panache» d’ #AndrédeFouquières.

POUR CEUX QUI N'ONT PAS LE TEMPS NON PLUS MAIS QUI LE PRENNENT

En un album, sous la plume du critique, journaliste, romancier et voyageur Albert Flament (1877-1956) et sous les couleurs de l’illustrateur François de Givré (1887 – 1915), surgit un Dinard au firmament dont l’éclat sera durablement altéré par la Grande guerre, toute proche.
Dinard indoor
Nous sommes en 1914, mais le bruit des canons ne se fait pas encore entendre. Dinard, en ce début de siècle, ce sont les bals à répétition, les pluies de jetons de casino, les bains de mer, les courses de chevaux, les sauts de puces de villa en villa, les gentilles régates, le défilé des élégantes et des fumeurs.  
En 25 mini-chapitres dans le gout de La Bruyère et 40 planches, parfois en noir, parfois en couleurs, toujours insolentes, la station balnéaire s’expose dans un défilé des plus débridés.
A tout seigneur, tout honneur. Ouvrons le bal avec la "Reine de Dinard". "Dinard sans Mrs Hugh-Hallett, ce serait Bayreuth sans Wagner, écrit Flament, Brissac sans opéras-bouffes et Venise sans la gondole de la marquise Casati". Voilà qui a le mérite d’être clair ! Encore faut-il savoir à qui nous avons affaire pour comprendre tout ce que contient ce portrait
Dinard outdoor. Photographie
en creux. Née Emilie von Schaumburg (1) en 1833 à Philadelphie, Mrs Hughes-Hallett descend d’un colonel allemand parti aux Amériques prêter main forte à l’Angleterre mise à mal par ses remuantes colonies. Bartholomew Schaumburg, vite rallié à la cause qu’il était venu combattre, offrit aussi sec ses services au commandement en chef des forces américaines. Après l’oppresseur anglais, il combattit les barbares indiens, ce qui ne l’empêcha pas d’épouser une petite-petite-filliote du chef indien Secaneh. Emilie avait le teint irlandais et le type délicieusement indien.  Elle était "absolute, and the effect was instantaneous". Si j’ajoute que la mère d’Emilie, une certaine Miss Page, était d’une beauté époustouflante, vous n’aurez pas de mal à croire quand je vous affirmerai que le prince de Galles déclara qu’Emilie était la plus belle femme qu’il ait vu durant sa tournée aux Etats-Unis.
"Yes, reconnut la reine balnéaire, it is true that King Edward when he was Prince of Wales said I was the most beautiful woman in America, but the princes, you, know, flatter sometimes". La beauté n’empêcha jamais Emilie d’utiliser sa tête ! Une belle fortune, une parfaite éducation classique, un scandaleux mari qui eut la bonne idée de passer l’arme à gauche de bonne heure, tout la poussa vers Dinard dont elle fit sa terre promise.



Eh bien dansez maintenant !
Cela étant dit, vous risquez d’avoir un choc en découvrant l’Emilie que Givré dessine dans l’album, à deux
La même, à 60 ans d'intervalle
reprises. La reine de 80 ans à première vue décatie, y révèle toutefois une santé insolente qui lui permet sur  l’une des planches de danser le cake-walk. Elle qui fut une incomparable patineuse sur glace, une dingue de fox-trot, donna d’innombrables bals à la villa Monplaisir qu’elle avait fait agrandir d’une pharaonique salle de bal.
En aout 1913, elle organisa une soirée "sans conteste la plus brillante de la saison", en l'honneur du Prince et de la Princesse Louis d'Orléans et Bragance qui se termina en un "tour de valse et un cotillon mené par M. André de Fouquières" que Givré caricature et sans prendre de pincettes encore ! Ah Fouquières ! L’homme aux 50 ans de panache. "Dinard, qui, décidément, a toutes les chances, a écrit le journaliste Jean Vignaud,  a mis M. André de Fouquières comme un gardénia à sa boutonnière".  Il ajoute que "le Tout Dinard fait naturellement comme M. de Fouquières. Le temps qu'il ne dépense pas sur les courts de tennis, les terrains de golf et le champ de courses du bois Thomelin, où règne M. Jean Hennessy, il le passe au Casino. Si tous les chemins de France mènent à Rome, tous ceux d'Angleterre et d'Amérique conduisent au Casino de Dinard". 


Hugh-Hallett et Fouquières
Maxixe brésilienne, cheek to cheek
La salle de bal de Monplaisir











Givré, de son trait malicieux rappelle que la danse fut aussi une des grandes affaires dinardaises. Elle accapare les pages de l’album. On éreintait chaque soir les parquets des villas. On organisait même des concours de danse.  En septembre 1913 (2), l’un d’eux "donné au Casino, fut des plus brillants [qui] attira une assistance considérable venue de Dinard et des environs, on se serait cru en vérité au cœur de la saison". On trouva dans la composition jury, cela ne nous étonnera pas, André de Fouquières, mais aussi le vicomte de Jessaint, le baron E. de Dorlodot, M. Hardy-Thé, M. Georges-Henri Manuel, M. de Delgado y Heredia, qui jalonnent l’album de Flament et Givré, au même titre que certains des participants du concours : miss King qui ce jour-là est récompensé pour un one step; le vicomte Xavier de La Villesbrunne repéré pour son sens du tango,  M. Trotti et Mlle Bettini que Givré représente fesses en l’air, front contre front dans une maxixe – prononcez  machiche - brésilienne, qu’il renomme "braccice maxiliene" sans que nous ayons pu en trouver la raison. Y participa aussi, M. de Chevriers  que le dessinateur – l’analogie est facile – plante au milieu d’un troupeau de chèvres qui s’empiffrent de l’herbe des alpages. Affublé d’une culotte et d’un chapeau tyroliens, il a un brin l’air "crétin des Alpes".

Au bal masqué, ohé, ohé


Chevriers en crétin des Alpes
Manuel en bergère barbue

Il n’y a pas que Chevriers qui soit déguisé au fil des planches. Un autre danseur, Georges-Henri Manuel, ami de Toulouse Lautrec, "personnage bizarre, sorte de mondain omnibus qui […] porte une longue tête écarquillée, en haut d'un cou de trente centimètres, que parcourt une pomme d'Adam semblable à un ludion" (3) est dessiné en bergère barbue du XVIIIe s.
Il faut dire qu’en France, le bal costumé fait rage en cette fin de Belle époque qui n’a peur de rien, même pas du ridicule. Ainsi en 1912 (4), les Vlassov "donnaient un bal costumé des plus gais. Les dames portaient un costume en papier représentant des fleurs, et les hommes un costume également en papier représentant des légumes". Bah voyons ! Parmi les invités, l’inoxidable Fouquières et des patriciens dinardais, Kotchoubey, Jessaint, Récopé,  La Villesbrunne, Hardy-Thé, Le Gorrec qui ont forgé à grands coups de nuits blanches, le chic de la ville.

L'infant Luis-Fernando, mignon de Dinard
On y croise également l'infant Luis-Fernando d'Espagne que Givré a représenté en culottes bouffantes rayées,actionnant un bilboquet avec une adresse rigolarde.  Nous voilà transportés immanquablement à la cour d’Henri III, peuplée de mignons poudrés, bijoutés, délurés. Pierre de l’Estoile, chroniqueur de l’époque confirme notre intuition : "Le roi commença à porter un bilboquet à la main, même allant dans les rues et s’en jouait comme font les petits enfants. Et à son imitation les ducs d’Esparnon et de Joieuse s’en accommodaient comme les gentilshommes, les pages et les courtisans". Jouant sur deux bilboquets, deux siècles, deux royautés, Givré souligne l’homosexualité de l’infant surnommé dans son pays, "el rey de los maricas", "le roi des tantes". Enfant terrible de la famille royale, il fut buveur impénitent, cocaïnomane invétéré et revendeur à ses moments perdus. Eclaboussant la couronne de scandales à répétition, enchainant les expulsions de France, Alphonse XIII se vit contraint de lui retirer son titre d’infant en 1924. Mais pour l’heure, en cette veille de guerre mondiale, il est encore le jeune homme, extravagant et spirituel qui dilapide ses vingt ans au gré des raouts balnéaires.
Dinard, centre du beau Monde
L’Espagne, l’Amérique, l’Angleterre si présente et pour cause – "consultez votre carte, vous y verrez que Dinard se
Holman Black
trouve à peu près à égale distance de Paris et de Londres" - firent de Dinard, une ville cosmopolite. Les Espagnols Luis-Fernando et Pepe Delgado s’y mélangeaient aux anglais, à Hardy-Thé, par exemple, poète et mélomane, dont la villa de Prompt Secours s’ouvrait en grand durant la saison et qui, en 1907, lança dans un bout de la propriété des Cognets, un charmant théâtre de la Nature, presque sans décor et sans mise en scène. Les américains s'y rencontraient plus surement que dans leur pays d’origine : de villa à villa, Emilie Hughes-Hallett, de Philadelphie devisait avec Charles Holman-Black d’Indianapolis, qui se partageait entre son hôtel particulier du 16 avenue de Breteuil à Paris, le sud de la France et Dinard. En 1937, le Paris Herald Tribune, le Boston Post and le Attleboro Sun, s’accorderont pour sacrer Holman-Black le plus vieil “américain à Paris”. Il avait foulé le bitume parisien dès 1886. Gene Kelly, Hemingway et Man Ray pouvaient aller se rhabiller.

Héritage d'attelage
Dinard séduisit même Joseph Rochaïd Dahdah, descendant d'une vieille famille française établie au Liban depuis les croisades et dont les rejetons Jospeh et Paul se retrouvent mener le même superbe attelage que papa dans le port-folio de Flament et Givré. Ayant fui les massacres de 1860,  Joseph avait aussitôt récupéré la nationalité française. Il fut l’un des négociateurs du grand emprunt de 1863 qui mena les finances du dey à la ruine et la Tunisie à la dépendance. Il en tira un porte-monnaie de Crésus et un titre de comte donné par  Napoléon III. Quand en 1873, il découvrit la station balnéaire, elle était déjà en plein essor. Mais rien n’était trop beau pour Dinard. Riche à millions, Rochaïd acheta la moitié du futur centre-ville. Là, il fit construire villas, hôtels, des maisons ouvrières rue de Barbine, un marché couvert, un lavoir public et fit percer de nouvelles rues. Il fit édifier pour son compte "les Deux rives" à la pointe du Moulinet qui devint une des villas où l’on crevait d’envie d’être invité. 

Car c’est comme ça à Dinard, on se recevait à qui mieux mieux, quand on ne se retrouvait pas au sortir des cabanes de la plage, au casino, sur les terrains de tennis, sur le deck des sveltes voiliers ou sur le champ de course. L’introduction de Flament vante tous les délices que la ville balnéaire procure. Givré prendgarde a bien mettre en fond de caricature ces terrains de jeu divers. Une
une "belle fille qui n'avait pas peur d'aller prendre son bain"
tenniswoman en sabot rappelle qu’Isabelle Rochaïd y excella. Les jeux de cartes s’ébattent en liberté dans une double page éloquente, un voilier file sous le vent, une nageuse sort très à l’aise d’une des cabines de bain, s’exposant aux flashes des photographes. On est bien loin de cette "belle fille qui avait peur d'aller prendre son bain. Elle craignait de quitter sa cabine. Elle tremblait de montrer au voisin, un, deux, trois, elle tremblait de montrer quoi ? Son petit itsi bitsi tini ouini, tout petit, petit, bikini Qu'elle mettait pour la première fois".



Sur la plage abandonnée


Déplorer la perte de l'été
L’insouciance des 39 premières caricatures de l’album tranche avec la solitude silencieuse de la dernière qu’on ne peut s’empêcher de qualifier de prophétique. On y voit un personnage habillé en croque-mort en train de creuser une tombe, celle de "l’Eté à Dinard" comme on peut le lire sur le ruban qui barre la couronne mortuaire toute proche. Je sais. Vous allez me dire que nous sommes dans une métaphore à la gomme digne de celle que BB chantait. "Sur la plage abandonnée, coquillage et crustacés, Qui l'eût cru déplorent la perte de l'été, Qui depuis s'en est allé. On a rangé les vacances, dans des valises en carton". Oui, mais voilà. Si Brigitte sait bien que "l'année prochaine, tout refleurira, nous reviendrons", Givré et Flament ignorent que ce n’est pas la saison qu’ils enterrent mais bel et bien une époque tout entière.
L’album est sorti des presses en mars 14.  Août n’est pas loin. François de Givré, qui n'a pas manqué de se caricaturer dans Dinard, mourra en 1915, sous-lieutenant de 28 ans, fauché avec la plus grande partie de sa compagnie "après avoir franchi dans un élan admirable trois lignes de tranchées ennemies". En 1919, Isabelle Rochaïd, fille de Joseph Rochaïd, se fiancera avec le marquis de Drée, sous-lieutenant au 37e régiment d'infanterie, décoré de la croix de guerre. "La jeune fiancée est la fille de la
Givré par lui-même
comtesse Rochaïd, décédée des suites d'une maladie contractée au chevet des blessés à l'hôpital qu'elle dirigeait à Dinard en qualité d'infirmière-major". Charles Holman-Black, qui jusque-là avait donné sa vie de patachon à l’art, aux plaisirs et à la gaieté, tournera casaque. Dès le 30 octobre 1914, il donne un long article au Day de Londres, contant ses exodes de début de guerre et exhortant les lecteurs à envoyer de l’argent à la banque Boutin de Dinard pour acheter des cigarettes aux soldats (5).
Gertrude Atherton (6) se souviendra que « she never received from any the same sense of consecration, of absolute selflessness as [she] did from Mr. Holman-Black. […] Mr. Holman-Black is parrain (godfather) to three hundred and twenty soldiers at the Front, not only providing them with winter and summer underclothing, bedding, sleeping-suits, socks, and all the lighter articles they have the privilege of asking for, but also writing from fifteen to twenty letters to his filleuls daily. He, too, has not taken a day's vacation since the outbreak of the war, nor read a book.”

De retour à Dinard après la guerre, il aura sans doute rouvert avec une profonde émotion, cet album de fantômes, ce témoignage d’un temps que les moins de vingt ne pourraient plus connaitre. © texte et illustrations villa browna / Valentine del Moral. 


LE LIVRE QUI A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE est en vente à la librairie:


FLAMENT, Albert | GIVRÉ, François de. Dinard.
Paris, imprimerie Maquet, 1914.
In-folio, livret et feuilles sous chemise cartonnée, dos toilé, couverture illustrée en couleurs. 16 pages de texte reliées par un cordon vert et 40 planches.
Tirage limité à 300 exemplaires, exemplaire numéroté à la main par Givré.
Rare album en bel état et bien complet des 40 planches dont cinq doubles, en noir et couleurs.
On trouve au dos d’un bon nombre de ces très amusantes caricatures, inscrits au crayon, le nom des personnes croquées. 
Commander le livre. En savoir plus 


NOTES
(1) Peacock, Virginia Tatnal. Famous American Belles of the Nineteenth Century. K. B. Lippincott Company. 1901
(2)  Le Figaro, 1913-09-03 - 
(3) Léon Daudet, L'entre-deux-guerres -
(4) Le Figaro, 1912 -
(5) 
https://news.google.com/newspapers?nid=1915&dat=19141030&id=nfogAAAAIBAJ&sjid=b3UFAAAAIBAJ&pg=3523,6678397&hl=fr 
(6) Gertrude Atherton, The Living Present, 1917.