mercredi 20 juillet 2016

DE L’ÉROTISME DES FIACRES SELON CE COQUIN DE CUISIN




 #PourCeuxQuiSontPressés

#DelAmourAuGrandTrot  #BaisodromeAttelé
#ErotismeDesFiacres 

#DesVentsDesPetsDesPoums 
#FlaubertCuisinMêmeCombat
 
#EauEtGazàToutesLesEtapes
détail du frontispice dépliant

Pour ceux qui n'ont pas non plus le temps, mais qui le prennent quand même.
Qui diable se cache derrière ces prodigieux pseudonymes-pour-rire au milieu desquels nous trouvons une victime de la tyrannie de Napoléon Bonaparte, un parasite logé à Pouf dans un grenier, un écouteur aux portes, un dessinateur au charbon et un enlumineur à la litharges, un rôdeur caché dans un arbre creux du bois de Boulogne, une victimes des femmes entretenues un lynx magicien, un homme qui s'est marié sept fois, une société d'agriculteurs 
La Folie mène le cortège
La réponse est J.P.R. Cuisin, alias M. Vélocifère, amateur de messageries, auteur de L’Amour au grand trot qui nous intéresse aujourd’hui. Ne me demandez pas à quoi correspondent les initiales J.P.R. C’est un mystère et boule de gomme. Tout au plus, le P. semble avoir été pour Paul. Ne me demandez  pas non plus de vous dire en deux mots qui était Cuisin. C’est positivement impossible. En vrac, il fut polygraphe, militaire, anti bonapartiste, membre honoraire de la Société française de statistique universelle et conservateur du Cabinet d'anatomie Dupont. Pour votre gouverne et au cas où, petits veinards, vous passeriez prochainement à Montpellier, le Cabinet Dupont fut donné au Musée d’anatomie montpelliérain par H. Dupont lui-même, « naturaliste du Roi et des Princes » et « artiste en préparations en cire ». Il contient entre autres « la série la plus complète qui ait jamais existé de symptômes de la maladie syphilitique doit être pour une jeunesse aveugle en ses passions, une école de mœurs, un salutaire avertissement bien capable de la détourner du libertinage, qui produit des fruits si amers : le père y conduira son fils ; plus que la remontrance la plus éloquente qu'il pourrait lui adresser, ce spectacle préviendra fortement l'imagination du jeune homme, soit sur ceux de la débauche, soit sur les dangers de l'onanisme. » Si le rapport de l’onanisme à la syphilis ne saute pas aux yeux, le lien de Dupont à Cuisin est facile à tresser. Tous les deux, l’un par la cire, l’autre par l’encre, ont cherché à produire un spectacle [qui] n'a rien de dégoûtant, puisque tout y est artificiel ; un spectacle-avertissement pour leurs spectateurs et lecteurs innocents et alléchés. 
Voyez comme le Fripon mène tout l'équipage galant.

C’est en tout cas ce que veut faire croire Cuisin dans le préambule de son petit volume au titre gigantesque : L’Amour au grand trot, ou la Gaudriole en diligence, manuel portatif et guide très-précieux pour les voyageurs offrant une série de voyages galans en France et à l’étranger ainsi qu’une foule de révélations piquantes de tous les larcins d’amour bonnes fortunes espiègleries aventures extraordinaires dont les voitures publiques sont si souvent le théâtre. Par M Vélocifère grand amateur de messageries. Il y écrit: « Allons, vous voilà bien avertis, époux, mères, filles et jeunes-gens. Vous ne pourrez pas dire qu’aucun moraliste officieux ne vous ait point signalé les écueils. Mais hélas ! On le sait que trop c’est prêcher dans le désert ; il faut que jeunesse se passe.»
A la lecture de ce livre très amusant, on est cependant en droit de douter de ce «camelotier prolifique, auteur de colportage, polygraphe paillard ou édifiant, [… aux] ouvrages toujours teintés d’une ambition morale, feinte ou véritable […et] aux titres programmatifs quelque peu hypertrophiés, presque hystériques ou plutôt frénétiques, qui attestent d’une manière d’appel qui est celle du bonimenteur des spectacles de la foire » (1). Et on aura raison.
Si «l’immoralité » du contenu l’a fait mettre à l’index par mesure de police en 1825, c’est que Cuisin a eu beau user de périphrases et d’images plus alambiquées les unes que les autres, on voyait trop bien où il voulait en venir. Un exemple : alors que la belle Elisa est assoupie – ou fait mine de l’être – dans la voiture de poste qui transporte également le narrateur, comme par hasard, sa poitrine se découvre. « C’est pour le coup qu’en plein jour, raconte le jeune homme, j’eus été obligé de croiser ma redingote ! Toutes les cordes de la volupté étaient tendues en moi […] Je brûlais de lui donner enfin une leçon d’astronomie, dans laquelle elle ne perdit pas de vue l’aiguille aimantée ; ainsi partant du département du Mont-Blanc et pénétrant jusqu’à celui de l’Aisne, je m’enivrai de mille délices en prenant possession d’une île nouvelle, que peu de navigateurs avaient abordée, à en juger par la difficulté de l’entrée au port ». Les diligences permettaient réellement ce que Meetic et la farandole des réseaux sociaux n’agréent que virtuellement aujourd’hui : du badinage express. Les genoux qui s’entrecroisaient, les cuisses qui se frottaient ont laissé place aux chapelets de smileys et aux photos de profil. « L’émoi du vécu » a été remplacé par le « Et moi, me likeras-tu ? » Entre la voiture à cheval et la fibre numérique, il y eut bien le train, concentré d'érotisme à vapeur qu'Apollinaire fit tenir tout entier dans un wagon des Onze mille verges. Raymond Loewy, celui qui modela dans les années 30 les sublimes locomotives de la Pennsylvania Railroad, avouait pour sa part dans La laideur se vend mal, que rien ne lui paraissait plus torride que la rencontre d'une femme seule dans un train en marche. 
Fleurettes et papillons légers
 
Mais aujourd’hui le déplacement des Hommes est en passe d'être supplanté par le mouvement de la fibre optique. C’est d’autant plus dommage que la littérature doit beaucoup aux salles obscures sur roues que furent les voitures à cheval. Si dans Madame Bovary, Flaubert a placé la mise en jambes d’Emma et Léon dans un fiacre, c’est loin d’être innocent comme le prouve le passage d’une lettre célèbre de l’écrivain à Louise Colet datée du 29 novembre 1853 : « As-tu réfléchi quelquefois à toute l'importance qu'a le Vi dans l'existence parisienne ? Quel commerce de billets, de rendez-vous, de fiacres stationnant au coin des rues, stores baissés ! Le Phallus est la pierre d'aimant qui dirige toutes les navigations. » L'aiguille aimantée de Cuisin et la pierre d'aimant de Flaubert  indiquent sans flancher le même mont de Vénus. Sorti en 1857, le roman, comme la pochade de M. Vélocifère vingt ans plus tôt, connut les démêlés judiciaires que l’on sait. Encore en 1888, le Fiacre émoustille. Xanroff en fait une chanson, reprise par Mireille et Brassens, qui n’a pas pris une ride : « Un fiacre allait, trottinant /Cahin, caha / Hue, dia, hop là!/ Un fiacre allait, trottinant /Jaune, avec un cocher blanc. » Dedans, stores baissés, une femme et son amant. Le mari qui, du trottoir, reconnait la voix de sa femme, de surprise, tombe et se tue. Du fiacre une dame sort et dit: « Chouette, Léon! C'est mon mari! Y a plus besoin de nous cacher ». Et la belle de faire renvoyer le fiacre. Laissant flotter dans l'atmosphère l’hommage discret, par Léon interposés, du chansonnier au père de Madame Bovary.

Six fois prout
D’autres passages de L’Amour au grand trot  – scatologiques ceux-là – raviront les fans d’Evguenie Sokolov, Des vents, des pets, des poums de Gainsbourg qui aurait sans doute et sans vergogne renommé ces pages « Eau et gaz à toutes les étapes ». Un exemple parmi d’autres, pioché dans les plus innocents, concernent l’éléphantique Mme Delaloyau. « Sa fistule à l’anus lui ayant ôté la clef de ses fesses, nous étions tous enveloppés à tout moment d’un nuage méphitique, et chaque cahot un peu violent de la voiture était compté et marqué par un prout, puis prout prout, et six fois prout ». S’ensuivent deux pages odorantes très réussies mêlant à ces remugles, les nombreuxet capiteux parfums portés par les voyageurs et le fumet d’un chien parfaitement crotté.



Hymen consterné
Le plus étonnant dans tout ce barnum littéraire, est la finesse du frontispice de cet Amour au grand trot décidément sympathique. Il se déplie largement sur la largeur de trois pages et présente deux voitures lancée à pleine allure et bourrées à craquer. En tête de cortège, à pied, la Folie, tout en grelots, les seins et les jambes à l’air. A l’arrêt, consterné, le flambeau en berne, l’Amour se cache le visage dans la paume de sa main. Dans les airs, une espèce de Déméter ailée, déverse des fleurettes. Elle devrait selon la légende de la gravure représenter le Vin mais, sauf à y voir une bacchante  introvertie, l’allusion n’est pas très claire.
Il faut attribuer cette pointe sèche à
Pierre-Jean-Baptiste-Isidore Choquet, (1774-1824), miniaturiste et illustrateur, qui multiplia les scènes mythologiques dont plus d’une vingtaine sont conservées au Rijksmuseum. Jules Gay (2) a beau vouloir que ce soit un certain Choquet de Lindu, officier et architecte de la Marine qui l’ait composée, ça ne colle pas. Le brave militaire mourut en 1790 et s’intéressa plus aux murs de bagnes qu’aux portières de diligences. De surcroît, la vente de cette gravure intitulée Voyez comme le fripon vous mène tout l’équipage galant fut orchestrée en 1820 par « Mme Lepetit, rue Hautefeuille, n 3o ». Outre le fait que le titre à rallonge de la gravure est bien dans le goût de Cuisin, Mme Lepetit se trouve être l’éditeur de L’Amour au grand trot. Pour enfoncer le clou, Choquet est aussi l’auteur avéré des très intéressantes illustrations des Ombres Sanglantes (3), merveille de nouvelles noires que Cuisin fait paraitre en 1820 chez la même éditrice. La drôlerie des personnages que l’on surprend à se bécoter, donner la tétée, vider leur pot de chambre, se boucher le nez dans les deux diligences, la finesse du détail des malles, des cages à oiseaux, des nuages de poussière finissent de nous convaincre de l’excellence de la main qui a inventé la scénette.
Autorisée à publication en juillet 1820, la gravure se retrouva-t-elle mise à l’index avec le volume en 1825 ? Voilà un paradoxe éditorial qui dut bien amuser notre écrivain qui s’autoportraitisa avec humour dans le Dictionnaire des gens de lettres vivants, par un descendant de Rivarol, paru en 1826 et dont il fut un des deux auteurs cachés. Cela donne : « CUISIN (J. P.) : Cet auteur est un véritable modèle de versatilité; on ne peut lui refuser quelque esprit, quelque chaleur d'imagination, mais la sagesse n'en règle jamais les bonds, les soubresauts et les saccades. Ses principaux trophées sont des in-18 d'un style parfois érotique avec des mœurs pures, de la probité, il a allié ce contraste adultère […] la postérité ne prononcera jamais le mot de camelote, sans qu'une réminiscence ne le signale comme un de ses coryphées les plus chauds. Voilà l'opinion, c'est une reine tyrannique, qui ne revient jamais de ses révélations, de ses jugements ERRONÉS, telle chose que vous fassiez pour réparer des erreurs littéraires de jeunesse ». Dans l’article consacré à Gilbert, on y lit aussi que « si Gilbert, ainsi que Cuisin étaient condamnés à porter tous leurs ouvrages, vraiment ils succomberaient sous leur poids ». En ce qui nous concerne, nous, nous avons en tout cas succombé à son charme. © texte et illustrations villa browna / Valentine del Moral 

LE LIVRE QUI A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE est en vente à la librairie
 
M. Vélocifère, grand amateur de messageries. [J.P.R. Cuisin]
L’Amour au grand trot, ou la Gaudriole en diligence. Par M. Vélocifère, grand amateur de messageries. Paris, chez les principaux Libraires du Palais-Royal, an du plaisir au galop 1820.
Paris, chez les principaux libraires du palais-Royal, an du plaisir au galop, 1820.
In-18, plein papier postérieur vert, dos lisse. Frontispice dépliant, faux-titre, titre, 278 pp.
Édition originale de cette succession de tableaux lestes qui ont pour cadre les diligences du début du XIXe s. En frontispice, « Voyez comme le fripon mène tout l'équipage galant », une grande et fine pointe sèche par Choquet.  


NOTES

 (1) Le spectre et la camelote Clichés du roman noir en mouvement - Marie-Laure Delmas
(2) Iconographie des estampes a sujets galants et des portraits de femmes... Par Jules Gay
(3) Pour le plaisir, le titre en entier du volume : Ombres Sanglantes, galerie funèbre de prodiges, événements merveilleux, apparitions nocturnes, songes épouvantables, délits mystérieux, phénomènes terribles, forfaits historiques, cadavres mobiles, têtes ensanglantées et animées, vengeances atroces et combinaisons de crimes, etc.