lundi 19 septembre 2016

DOUZE SUJETS DE CHASSE & DEUX BIBLIOTHÈQUES


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 Pour ceux qui n'ont pas non plus le temps, mais qui le prennent quand même.

Rare couverture de livraison romantique
Le hasard sert bien les livres quelquefois. Deux exemplaires des Douze sujets de chasse à tir délicieusement dessinés par François Grenier et publiés chez Motte en 1830, viennent simultanément de faire leur apparition. La bibliophilie comme la musique peut se savourer en stéréo. L’un des exemplaires figure à la très prestigieuse, très attendue vente de la bibliothèque cynégétique du Verne – Bernis qui a lieu le 5 octobre prochain(1). L’autre qui fit partie de la non moins célèbre bibliothèque de Jean-Baptiste Huzard vient tout juste de faire son apparition sur les tablettes de la librairie.
En ce cas, comment résister à la tentation de mettre face à face les deux célèbres bibliothèques ? Ou plutôt… Pourquoi résister ? Que celui ou celle qui a quelque chose à dire se lève ou se taise à jamais… Quelqu’un ? Personne ? Bien ! Reprenons et commençons par le commencement.


L’exemplaire du Verne – Bernis qui passe en vente le mois prochain est complet de ses rares couvertures romantiques de livraison bleues. Sont reliés à la suite douze autres sujets et leurs couvertures vertes. C’est bien, c’est beau. C’est estampillé de l’une des plus mythiques collections de livres de chasse qui soit parvenue jusqu’à nous. L’album, tout comme le seront les autres livres mis à l’encan ce même jour, sera séparé du reste de la bibliothèque et, solitaire, naviguera désormais de mains en mains amoureuses. 

C’est ce même sort qui fut réservé à l’exemplaire que nous présentons à la librairie. Inscrit au Catalogue de la bibliothèque de feu M. J.-B. Huzard (2),  il fut lui aussi rétrogradé, le temps d’une vente, à l’état de numéro. Le numéro 5298 pour être précis. Ayant trouvé acquéreur, il connut en somme plus de chance que le numéro 6 de la série du Prisonnier, puisqu’alors que Patrick McGoohan continue sans résultat à crier «  I am not a number, I AM A FREE MAN! »,  l’album des lithographies de Grenier a pu très rapidement claironner : «  Je ne suis plus un numéro. Je suis un livre libre ».



la griffe Huzard
Si l’exemplaire du Verne-Bernis des Douze sujets de chasse à tir est lisse et beau comme un bébé Cadum de réclame, l’exemplaire Huzard est quant à lui tatoué à la manière des rudes marins, des Maori d’autrefois, des yakusas d’aujourd’hui, en un mot il est lié à Huzard, comme les autres le sont à la mer, à leur tribu, à l’hyper secrète organisation nipponne. Il a d’une part été marqué de la griffe Huzard, espèce d’empreinte encrée mêlant signature spiralée d’Huzard et triple scarification version B.C.G. D’autre part, Huzard, bibliomane compulsif, a pris le temps, une règle et sa plus belle écriture cursive pour ajouter à l’encre son ex-libris manuscrit et la table des planches, sur les pages blanches qui précèdent et suivent la page de couverture. On y trouve aussi le tampon sec de l'éditeur Charles Motte, "imprimeur éditeur de S.A.R Monseigneur le Duc d'Orléans et de S.A.R. Monseigneur le Duc de Chartres" et à la couverture l'étiquette contrecollée de Giraldon-Bovinet;
le tampon sec Motte
marchand d'estampes au passage Vivienne.



Les douze planches qui figurent à l’album, parues une dizaine d’années avant la mort d’Huzard, ont dû bien charmer le vieux bonhomme pour qu’il s’y applique comme un écolier. On comprend aisément pourquoi puisqu’on y trouve l’alliance rare de la délicatesse du lithographe qui maitrise son art et du sens consommé et poétique de l’arrière-plan. Il s’en dégage une tendresse particulière pour les enfants et les chiens, ces innocents bienheureux ivres de grand air et de courses folles. Les toutous surtout s’en donnent à cœur joie : il y a celui qui se gratte avec application, celui qui se roule énergiquement dans l’herbe, celui qui lape sans vergogne le sang du lapin qui vient d’être ramassé, celui qui partage en frère l’eau de la gourde de son chasseur de maitre, celui qui pendant l’affut somnole la tête haute mais l’œil fermé, celui qui sait aussi suivre  les stupides humains, l’oreille basse et le fouet immobile quand le mauvais temps gâche tout, sauf peut-être le plaisir des flaques et des odeurs qui montent de la terre mouillée. 

 

Du balcon de notre époque déchapeautée où la casquette de base-ball règne en impératrice, c’est un délice de détailler les couvre-chefs des personnages mis en scène par François Grenier. Peintre et lithographe, élève de David, Grenier avait démarré sa carrière avec des scènes napoléoniennes, avant de se tourner après la Restauration, résolument, vers les scènes de genre et de campagne. On ne peut le blâmer d’avoir préféré aux cadenettes certes chics des hussards, les chapeaux mous déglingués, les pailles clairs et amidonnés, les ancêtres du deerstalker de Sherlock Holmes, les bords larges du paysan habitué aux ardeurs du soleil, les petits bonnets souples des enfants. 



 Grenier est un observateur hors pair. Chaque tableau est une action de chasse qui met en scène avec esprit des chasseurs de tous crins. La majorité d’entre eux sont de beaux jeunes gens, à la peau douce et au favori en folie. Mais il a aussi il y a le novice, visage attentif et dos bien droit écoutant religieusement son ainé. Il y a le paysan, un œil sur les pommes de terre qu’il est en train de butter, histoire de ne pas se planter la serfouette dans le pied nu, l’autre œil rivé sur le chasseur sans chien qui s’escrime à rattraper son gibier blessé. Il y a encore le braco en sabots, arborant un menton avancé d’édenté, une narine palpitante et la paupière mi-close. Il y a des mioches aussi, aux joues rondes, au cheveu coupé à la serpe, au bonnet dont la blancheur  accentue la bonne mine. Tous ont été dessinés avec un humour bienveillant.


 Tout le charme de ce recueil est auréolé par sa provenance. Dans le discours que le baron de Silvestre lut aux obsèques d’Huzard, son vieil ami bibliophile, il serina qu’il « serait vivement à regretter qu’une si précieuse bibliothèque fût dispersée par l’effet d’une vente publique ou qu’elle fût portée entière à l’étranger ». Il dut regretter vivement puisqu’elle fut mise en vente sans autre forme de procès. Et outre quelques ouvrages de médecine vétérinaire qui purent être rachetés par l'Ecole d'Alfort, tout le restant fut vendu aux quatre vents. Quand on sait que catalogue de ses livres, dessins et estampes nécessita pas moins de trois tomes et recensa 40 000 volumes couvrant pratiquement tout ce qui avait été publié jusqu'en 1837 dans les domaines des sciences naturelles, médicales, vétérinaires, de l'agriculture, de l'équitation et de la chasse, il y a de quoi avoir le vertige.

Ce monument bibliophilique, fruit de plus de soixante ans de recherche d’un seul homme est à comparer à la bibliothèque du Verne – Bernis constituée, elle, par trois générations de furieux collectionneurs, le père, le fils et la petite-fille. Ce n’est pas la seule différence qui sépare les deux collections.

Joseph du Verne s’approvisionna aux plus prestigieuses bibliothèques, dispersées en leur temps par l’entremise de ventes aux enchères historiques comme celle du baron Pichon en 1894.  L’année de sa mort, en 1933, fut mise à l’encan la bibliothèque cynégétique de la duchesse d’Uzès. Ce fut pour son fils Pierre une manière toute désignée de mettre le pied à l’étrier. Quant à son tour il mourut, sa fille Nicole reprit le flambeau. Elle aura eu pour sa part, la chance de pouvoir puiser à de grandes collections comme celle de Marcel Jeanson que les manitous de Sotheby's, déjà eux, commencèrent à vendre en 1987 à Monaco. 
Ex-libris manuscrit
Le déjeuner ou Comment partager en frères

Jean-Baptiste Huzard ne fonctionna pas du tout de cette façon et préféra butiner à droite, à gauche, ici et là. « Dès sa plus tendre jeunesse Huzard avait consacré tous ses moyens pécuniaires à l’acquisition de livres utiles dans la carrière qu’il voulait embrasser. Il ne pouvait résister au désir d’acquérir un ouvrage remarquable de médecine vétérinaire ou d’histoire naturelle qu’il ne possédait pas encore et il cachait avec le plus grand soin les produits de ses acquisitions successives. Il avait commencé à l’âge de 16 ans cette collection qu’il avait toujours accrue et qu’il augmentait encore à 84 ans ».
Né en 1755, d'une longue lignée de maréchaux ferrant parisiens, il était entré à 14 ans à l'Ecole d'Alfort. A l'issue de ses études, Bourgelat, le père des écoles vétérinaires, le retint comme répétiteur et le nomma professeur de matière médicale en 1772 - il avait 17 ans ! -, puis le chassa en 1774 avec pour tout bagage une appréciation de son style : "sujet qui aurait été excellent s'il ne se fût adonné au vin et au libertinage" ». On est loin de la sage et discrète dynastie du Verne.
Quand en 1792, Huzard épousa Rosalie Vallat la Chapelle, fille d'un éditeur  et libraire renommé, sa vie bascula pour l’extase. « Quel bonheur pour un bibliophile dans l'âme ! On raconte, continue Silvestre (4), qu'il utilisa les presses de sa femme pour rééditer des textes rares en quelques exemplaires seulement, réservés à sa collection personnelle ! Sa quête passionnée des livres n'a pas seulement pour but d'alimenter les bibliothèques d'Alfort et de Lyon, mais aussi d'enrichir sa collection personnelle.


La dispersion des bibliothèques est dans l’ordre des choses. Elle est parfois décidée par le collectionneur lui-même. Ce fut le cas avec celle de Maurice Garçon, avocat terrible, qui demanda que sa bibliothèque consacrée à la démonologie soit expressément vendu aux enchères pour qu’elle ne puisse pas tomber entière dans le bec d’un néophyte ou d’un inconscient. Mais le plus souvent ces ventes sont histoires d’héritage, de goût ou de dégoût, d’intérêt ou de désintérêt. Huzard n’avait pas laissé de dernières volontés bibliophiliques. Peut-être avait-il considéré que son gendre Louis Bouchard-Huzard, imprimeur rigoureux, membre fondateur de la Société d'agriculture de la Seine et membre de plusieurs autres sociétés savantes serait son vivant héritage. Henri Parent, un autre grand collectionneur de livres de chasse, racontait qu’à l’inverse Joseph du Verne avait instamment demandé que sa collection soit gelée quelques dizaines d’années ; certains parlèrent même d’une durée emphytéotique. Nous ne sommes pas si loin des 99 ans avancés puisque voilà 83 ans que Joseph du Verne est mort. Jean-Baptiste Huzard a tiré sa révérence il y a 178 ans.  Force est de constater qu’on continue à perpétuer leur mémoire, à chérir les exemplaires de leurs bibliothèques. Je ne sais pas vous, mais moi, je trouve tout ça formidablement optimiste!  © texte et illustrations villa browna / Valentine del Moral 

LE LIVRE QUI A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE est en vente à la librairie


François Grenier
Douze sujets de chasse à tir dessinés sur pierr


Paris, London, Ch. Motte, 1830. Vignette contrecollée du marchand d’estampes Giraldon-Bovinet.

In-4 oblong, demi-veau. Manque en bas du dos.

Table manuscrite, douze planches. Mouillures pâles et éparses.

Rare ensemble de la première série de douze lithographies dessinées par Grenier et gravées par Ch. Motte ayant conservée ses belles couvertures bleues romantiques illustrées.

Exceptionnelle provenance puisque que c’est l’exemplaire de la bibliothèque de J.B. Huzard.

Cet exemplaire a reçu, calligraphié à la main à l’encre noire, une page d’ex-libris et une page de table des planches.

On reconnaît de surcroît sur la premier de couverture le tampon d’ex-libris à la griffe d’Huzard. 

Elève de David et Guérin, le peintre et lithographe François Grenier (1793-1867) fit des merveilles en compositions cynégétiques et romantiques. De grand format, ces scénettes pleine de charme ne sont pas dénuées d’humour.

Noviciat – chasseurs engravés – le chasseur en jouissance – L’oiseau de proie – Paysan braconnant – Chasse au brochet – Le déjeuner – Chasse au marais – l’Affut – La rencontre – Le désagrément de chasser sans chien – Agréable partie de chasse dans les plaines de la Beauce.
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NOTES
(1) vente à Paris, galerie Charpentier, 76, rue du Faubourg Saint-Honoré. 75 008 Paris

(2) Il fut publié en 1842 chez Mme Veuve Bouchard-Huzard

(3) bibliothécaire du Cabinet du roi et membre éminent de la Société d'agriculture de Paris
(4) Notice biographique sur M. J.-B. Huzard ... par M. le baron A.-F. de Silvestre, etc. (Extrait des Mémoires de la Sociéte royale et centrale d'agriculture.)