mercredi 29 mars 2017

BALS COSTUMÉS POUR EMPIRE CONSUMÉ



#PourCeuxQuiSontPressés  

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Pour ceux qui n'ont pas non plus le temps, mais qui le prennent quand même.   

« Ouhaaaa ouha ouha oua, la cômédie, la cômédie, … la comédie d’un jour» ou plutôt celle d’une époque, voilà ce dont témoignent en technicolor les 20 planches de l’Album du Progrès, Costumes Historiques, Artistiques et Travestis.
Elles parurent une par une, de 1856 à 1876, dans le journal du Progrès : journal des véritables intérêts de l'art du tailleur et des Modes de Paris. « Cet Album, de la plus grande beauté comme art et comme curiosité, est composé des principaux costumes de travestissements qui ont été publiés dans le journal le Progrès, […] des travestissements de tous genres, ainsi que tous les costumes pittoresques, fantastiques, artistiques pour bals et soirées. »[1]


En avant la zizique

C’est que le Second Empire, voyez-vous, fut l’empire des bals costumés. « Dans les milieux officiels, nul ne s'affranchissait des bals travestis donnés par des membres du gouvernement, et les fonctionnaires de l’ordre le plus austère se faisaient une obligation de se costumer pour y assister. Ne vit-on pas le grave M. Feuillet de Couches, maître des cérémonies impériales, en mandarin chinois? […] La tyrannie du travestissement s'étendait même aux sénateurs. »  
Ah ! Voir dans Point de Vue, Gérard Larcher en Jules II, François Baroin en petit marquis poudré,  Samia Ghali en Catherine de Russie ! Voilà qui éclairerait notre horizon bouché de complets Arnys bleu nuit et de costumes Agnès B. sombres.

Quoiqu’il en soit, ces braves élus « éprouvèrent quelque soulagement, lorsque, vers la fin du règne, on adopta les manteaux vénitiens […] Ils avaient aussi la ressource du domino, mais celui-ci exigeait le masque et vous livrait à l'intrigue. »[2]
Panoplie du domino
Le domino, robe ouverte à capuchon descendant jusqu’aux talons, s’il livrait à l’intrigue, c’était surtout parce qu’il exigeait le masque. La chose était si courante que tôt dans le siècle, dès 1830, Hugo s’en empara pour créer l’effroi par métonymie : « Le masque en domino noir paraît au haut de la rampe. Hernani s'arrête pétrifié ».  Scribe et Auber en tirèrent eux, en 1837, Le domino noir, un opéra-comique à succès. 
Mais la fantaisie de cette seconde moitié du 19e s. ne pouvait pas se contenter de sages dominos. On avait décidé une fois pour toutes de ne pas se prendre au sérieux et on s’habilla en seigneur hongrois, en Ecossais, en troubadour florentin, en soubrette Louis XV, en torero, en matelot, en Pierrot, en Mâconnaise, en Méphistophélès. On décida aussi de mélanger tout ce petit monde hétéroclite et on mit dans le même salon la reine des fous, une farouche fille du Caucase, la dame de pique et une humble laitière. 
 Sur les planches colorées de l’album, les déguisements ne sont pas portés par des mannequins en celluloïd mais par des êtres de chair et de sang.
Certes les belles dames ont toutes la même taille fine, certes les beaux messieurs ont fait rafraichir leurs moustaches chez le même barbier, mais si l’on prend le temps de s’attarder, on découvre que ces archétypes profitent de l’occasion pour se conter fleurette. Les mains se cherchent et se trouvent, les regards se croisent, les duos se font trios. Rien de bien étonnant à cela. C'était dans l'air du temps. Un invité au très select bal costumé donné par l’Impératrice le 9 février 1863, à ce bal pendant lequel pour la première fois on dansa le quadrille des Abeilles, ne se souvenait-il pas qu’il « fut des plus brillants, et un tant soit peu leste »[3]. 
A quatre mains, et plus si affinité.
 
Pauvre bédouin!
L’empereur ne fut pas le dernier à jouer le jeu du travestissement. A l’extrême gauche de la troisième planche du recueil, se tient un bey armé de coutelas, dont la barbe de trois jours dissimule les moustaches et la barbichette célèbres de Napoléon III. C’est en tous cas ce que j’ai décidé de croire après avoir lu qu’à « un bal costumé donné par le président du Corps législatif, Napoléon III s'était déguisé en Bédouin et portait un masque. On le reconnaissait aisément à sa démarche un peu traînante, mais la consigne était de ne pas le reconnaître. Il portait dans son ceinturon un poignard richement orné de pierres en imitation. Il s'approcha de la princesse de Metternich lui demanda si elle n'avait pas peur d'un homme armé jusqu'aux dents. Elle répondit qu'en effet, sa vue la faisait trembler et que le seul moyen de la rassurer était de lui donner son magnifique poignard.
— Que veux-tu donc en faire? demanda-l-il.
— J'en démonterai les pierres pour qu'on me les monte en bijoux.
— Sais-tu que chacune de ces pierres vaut un million?
— Allons donc ! s'écria la pétulante ambassadrice. Un pauvre Bédouin comme toi aurait vendu depuis longtemps ces pierres, si elles valaient un prix pareil. Quand tu seras rentré chez toi, demain matin, à ton réveil, tu m'enverras ton poignard. Je n'en ferai pas faire de bijou pour moi, mais je le conserverai en souvenir de toi dans un musée qu'a mon mari en Bohême, dans un château qui s'appelle Königswart.
Le lendemain matin, on apporta à la princesse un petit paquet bien ficelé qui contenait le poignard en question avec un bout de papier sur lequel se trouvaient écrits ces mots tracés de la main de l’Empereur : « De la part du pauvre Bédouin ». »
Le pauvre bédouin s’enticha dans les années 1856-57 d’une italienne volcanique, qui aurait été une « Marianne »  parfaite pour sa Seconde République… s’il ne l’avait pas transformée en Empire. Il s’agissait de Virginia de Castiglione.
Elle était devenue la maitresse de Napo en juin 1856 et, dès juillet de la même année, elle commença à poser devant l’objectif de Pierre-Louis Pierson. La Castiglione se fit entre autres tirer le portrait dans ses tenues de bals masqués. Sa présence sulfureuse émane de l’Album du Progrès. On pourrait jouer longtemps au jeu des ressemblances, mais nous nous limiterons – puisque vous avez un train à prendre, une réunion à rejoindre – à deux exemples :


La Castiglione - Dames de cœurs et de pique
La Castiglione - La Frayeur

 Sur la planche n°20, une femme de dos se rue sur un personnage masculin. Sa robe est lestée d’une guirlande de vigne chargée de grappes de raisin. Le premier mouvement serait d’y reconnaitre une bacchante alors qu’il faudrait plutôt y voir une évocation de la Frayeur que La Castiglione décida, l'espace d'un soir, de personnifier. On ne doit pas non plus s’empêcher de voir dans la Dame de pique de l’Album, un rappel de la Dame de cœurs qu’incarna Virginia au bal du 17 février 1857. Les deux robes quoique dissemblables à première vue, méritent qu’on les détaille. Toutes deux affichent la couleur. On y découvre une kyrielle de piques sur l’une et de cœurs sur l’autre. Mais par-dessus tout, elles possèdent un décolleté sans corset fait de gaze légère portée à même la peau qui, selon les veinards qui allèrent à ce bal, laissait deviner la jolie poitrine de l’Italienne. 
Les acteurs et actrices, les chanteurs et chanteuses à la mode hantent également les planches de papier. Or, on remarque que ces vedettes qui brillèrent sous Napoléon III, sont essentiellement représentées dans les planches exécutées après 1870. Comme si… comme si, dès les premiers jours de la IIIe République, on était tombé en nostalgie pour l’Empire second du nom. 


Faure-Méphistophélés
Levesque-Chicard
Exhumons en passant,  le baryton Faure, présent à cinq reprises dans l’Album. Il composa un saisissant Méphistophélès pour le Faust de Gounod.
Rendons gloire à Chicard, célébrité de la rue comme on n’en fait plus. C’était à la ville, un marchand en cuirs de la rue Quincampoix nommé Levesque. Il inventa son costume, sa propre chorégraphie et organisa un bal de carnaval prié, le très fameux bal Chicard. Outre les inamovibles bottes fortes et gants à manchette de buffle, son costume se composait d'un bizarre assemblage d’objets hétéroclites qu’il variait à l’infini. Un plumet colossal devait impérativement trôner sur son casque qui dans l’album est confectionné à partir d’un moule à biscuit. 
Hortense Schneider - Veuve de Malabar
Marie Sasse-L'Africaine

Comme ce fut le cas dans la « vraie » vie, les égéries du boulevard, les divas des planches rivalisent d’audace dans les feuilles de l’album. On retrouve les tenues imaginées pour Marie Sasse dans l'Africaine  de Meyerbeer, pour Hortense Schneider dans la Veuve du Malabar d’Hervé, pour Blanche d'Antigny, Minerve dans la Boite de Pandore de Litolff. Le costume de Cora Pearl dans l’Orphée aux Enfers de Jacques Offenbach éclabousse la quinzième planche comme il monopolisa la presse et les conversations de l’époque. Ceux d’Hortense Schneider créés pour la Barbe-Bleue et La grande duchesse de Gerolstein du même Offenbach témoignent un peu plus encore de la gloire du musicien.  

Blanche d'Antigny-Minerve
Hortense, duchesse de Gerolstein





















Cora Pearl dans Orphée aux Enfers


OffenbachS
Ach Offenbach ! Le petit Mozart des Champs-Elysées ! Le génial inventeur de l’opéra-bouffe ! Le héraut de la « fête impériale » ! Ses airs les plus célèbres planent au-dessus des planches de l’album. Le maître lui-même fait une apparition au détour de la troisième planche. Il n’est pas encore chauve mais déjà frileux. Ses favoris mousseux, son menton maigre, son lorgnon pincé sur le haut du nez, sa pelisse en fourrure que Nadar immortalisera en 1878, tout y est. Il n’est pas costumé et s’apprête à quitter la scène. En bon démiurge, il se contente d'observer ceux qu’il a si bien fait chanter, danser et rire.

D’autres personnages observent en même temps que lui et nous les scènes joyeuses du Progrès. Ce sont ces personnages qui nous tournent le dos, hommes et femmes, assis ou debout.
 



Au bal costumé, on lorgne et on se fait lorgner.
Au bal costumé, on ose aussi. On fait fi des bonnes manières en fourrant ouvertement ses mains dans ses poches. 


Les hommes se transforment l’espace d’une soirée en mauvais garçons, brigands napolitains, Méphistophélès, meurtriers patibulaires de l’affaire du Courrier de Lyon dont les cous se perdent dans des tours de chiffon noués à la diable. A l’époque du fait divers, en cette fin du 18e s.,  le cou n’avait décidément pas la côte.


en cette fin du 18e s.,  le cou n’avait décidément pas la côte.


Virginie Déjazet
Les femmes, suprême transgression, se déguisent en hommes. La championne toutes catégories de ce travestissement fut Virginie Déjazet qu’on retrouve en Gentil-Bernard dans la dixième planche. Ce rôle de jeune homme étudiant l’art d’aimer dans la noblesse, la bourgeoisie et le peuple fut « pour mademoiselle Déjazet sinon une de ses plus originales du moins une de ses plus spirituelles et de ses plus heureuses créations »[4]. Il faut dire qu’elle commença, continua et finit sa carrière en s’illustrant dans ces rôles de garçons. A 62 ans encore, elle interprétait le rôle d’un chanteur dans Monsieur Garat de Victorien Sardou. « Sa notoriété et la gloire dont elle embellit ces rôles lui [permirent] alors de donner son nom aux rôles travestis qui sont ainsi nommés les  déjazets ». [5]
Or donc, de charmants déjazets colonisent l’Album, indien, Figaro, page de la reine des fous, poissonnière-garçonne napolitaine en culottes courtes dévoilant mollets et genoux. 



 
délicieux Déjazets


La Castiglione, toujours elle, dans la décennie 1860 avait fait prendre ses jambes dénudées en photo. Le cadrage de ces clichés en dit long sur l’entreprise : les jupes y sont ostensiblement relevées mais le haut du corps volontairement non photographié. La terrible italienne avait également fait prendre en photo ses pieds chaussés et nus. Elle les avait également faits mouler.


les pieds de la Castiglione sous toutes les coutures

C’était le temps où l’on prenait son pied en apercevant le gros orteil de son aimée.
Voilà qui eut du sens et qui n’en a plus. Quoique. Hormis en été désormais addict à la tong, le pied se dévoile toujours moins vite que l’épaule, le sein, les reins ou la fesse et de ce fait, continue étrangement à faire travailler notre imaginaire amoureux.
Nous ne mettrons pas le doigt dans l’engrenage fétichiste du pied, ou seulement un chouilla, le temps de nous extasier sur le feu d’artifice donné par les chaussures de cet album de costumes. Pas de talons hauts mais des escarpins, pas de semelles mais des talons rouges, pas de baskets, mais des souliers et des bottines unisexes aux couleurs pétaradantes, aux nœuds, pompons et lacets débridés. 



Au pied!
Et nous voilà à refeuilleter une fois encore l’album du Progrès, cette fois le regard vissé sur les tatanes.En remontant un tout petit peu le regard, on tombe avec étonnement sur quelques enfants échappés des nurserys. L’un tombe amoureux d’une belle dame qui s’est mise à ses genoux. L’autre siffle un verre de Sancerre rouge. Rien que de très banal là-dedans. Pourquoi les petits d'hommes n'auraient-ils pas eu le droit de se déguiser eux aussi?



Bambins précoces
« Il y eut entre autres aux Tuileries, un bal d'enfants [donné pour le Prince Impérial]. Des lumières et des fleurs à profusion, comme dans les grands bals, un orchestre superbe; dans un salon voisin, on avait établi un théâtre de guignol en permanence; on goûtait par table de trente enfants à la fois. […] Le menu était assez copieux pour des estomacs d'enfants. Sandwichs, petits pains au foie gras, des crèmes, des aspics, des fruits, des fraises magnifiques, en abondance, du chocolat, du café glacé et du… Champagne frappé. Au milieu de la matinée, M. de Verdière fit son apparition dans le bal en costume d’œuf de Pâques;  la tête d'un jeune poulet lui servant de coiffure, émergeait de la coquille. On fit cercle autour de lui comme il se mit à distribuer des cadeaux, ce fut bientôt une vraie cohue. […] Cette fête était naturellement en matinée. Elle prit fin à six heures. On pense si les enfants, après avoir gambadé, couru, dansé, mangé et bu plusieurs heures de suite, dans cette atmosphère de chaleur et de lumière, eurent besoin de prendre un repos prolongé. »
Le 23 avril 1867, c’est au tour de la Comtesse de Fleury d’offrir chez elle, au petit Prince, un bal costumé auquel il ne peut pas prendre part étant tombé malade. Pour le consoler, on fait confectionner un album[6] de 92 photographies au format carte de visite présentant les petits invités déguisés. Les costumes singent ceux de leurs parents : napolitains, espagnols, déesses, marquises et marquis poudrés, reines et bergères, tous posent avec conviction. 

César-Napoléon
On observe dans les prénoms des bambins, une palanquée de Napoléon et quelques Napoléone.
En ça, les parents étaient moins pusillanimes que les créateurs des planches du Progrès. En effet, si Napoléon - number one s’entend - apparait dans l’Album, c'est sous le nom sibyllin de César.  
Bien qu'incognito, il pose au beau milieu de la planche datée de 1870. Simple coïncidence ou allusion lourde de sens? Bien informé celui qui pourrait répondre à cette question. Reste que Napoléon, puisque c’est lui sans conteste, porte fort bien la couronne de laurier, cette couronne qu’un esclave tenait dans la Rome antique, au-dessus de la tête du triomphateur sans cesser de lui susurrer à l’oreille des mises en garde dont les plus célèbres restent cave ne cadas (prends garde de ne pas tomber !)  et memento mori (souviens-toi que tu es mortel).
Mais Bonaparte se l’était collée tout seul sur la tête, la couronne de laurier. Aucun esclave n’avait eu droit au chapitre.

Et ce qui devait arriver, arriva. Il tomba.
Napo III tomba à sa suite.
Quant au Prince Impérial, sanglé dans son uniforme britannique, il tomba de cheval attaqué par les zoulous. Quand on le retrouva, « son cadavre portait dix-sept blessures, toutes par-devant, et les marques sur le sol, comme sur les éperons, indiquaient une résistance désespérée »[7]. 
La « fête impériale » était bel et bien terminée. © texte et illustrations villa browna / Valentine del Moral



LA REVUE QUI A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE est en vente à la librairie.
Album du Progrès, Costumes Historiques, Artistiques et Travestis.

Paris, Auguste Picart, s.d. (1876).
In-4 oblong, reliure postérieure, percaline et première de couverture formée de la page de couverture initialement brochée.

21 planches, soit une page d’explication des 19 premières planches, les 19 planches en question et une planche supplémentaire pour 1876.

Rare et fort intéressant témoignage sur les bals costumés en vogue sous le Second Empire. Ces planches parurent initialement une par une, de 1856 à 1876, dans le journal du Progrès : journal des véritables intérêts de l'art du tailleur et des Modes de Paris.  
Très beaux coloris, bien frais. Petits incidents mineurs aux bords des planches.
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[1][1] In le journal le Moniteur de la coiffure.
[2][2] Fleury & Sonolet, La Société du Second Empire 1867-1870.
[3][3] Albert Verly, Souvenirs du Second Empire.  
[4][4] In La Mode, 1846.
[5][5] C. Khoury, «Le travesti dans le théâtre du XIXe siècle : une distribution à contre-genre ?», agon.ens-lyon.fr
[6][6] Pour feuilleter l’album conservé à Compiègne. www.photo.rmn.fr
[7][7] Récit du capitaine Molyneux, du 22e régiment A.D.C.